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semble le croire Blanqui, subi les préjugés de son temps et il n’est pas loin de mériter, en somme, dans toutes les parties de son œuvre, le jugement que porte sur lui M. Taine en l’appelant ; « l’écrivain le mieux instruit, le plus sagace et le plus équilibré de tous les esprits du xvm e siècle 1 ».

Sans parler d’un assez grand nombre de passages épars dans l’œuvre entière, neuf livres, sur les trenle-et-un qui forment l*JSsprit des lois, contiennent, plus particulièrement, les doctrines économiques de Montesquieu. Nous nous bornerons à donner les titres de ces livres et à résumer brièvement, en usant le plus possible de citations, les principales théories que l’on y rencontre 2 .

Livre VII. — Conséquence des différents principes des trois gouvernements par rapport aux lois somptuaires, au luxe et à la condition des femmes.

Montesquieu se garde de définir un phénomène économique dont l’extrême relativité ne lui échappe point. Il détermine assez exactement les rapports qui existent entre le luxe et d’autres phénomènes économiques. « Le luxe (voy. ce mot), dit-il, est en raison composée des richesses de l’État, de l’inégalité des fortunes des particuliers, et du nombre d’hommes qu’on assemble dans de certains lieux (les grandes villes et surtout les capitales 3 ) ». Montesquieu est loin de toujours considérer le luxe comme dangereux et de le proscrire. « En général, dit-il, plus un État est pauvre, plus il est ruiné par son luxe relatif... Plus un Étatest riche, plus son luxe relatif l’enrichit* ». Mais dans les cas où le luxe lui paraît pouvoir amener la ruine d’un É tat, il n’hésite pas à appro u ver ou à conseiller les lois somptuaires 5 (voy. ce mot). Il n’est ni le partisan ni l’adversaire systématique et absolu de l’intervention de l’État. Il l’admet, pourtant, avec beaucoup plus de facilité que les économistes de la fin du xvni siècle. Livre XIII. — Des rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté.

On voudrait pouvoir citer toutes les pages de ce livre. Bien que Montesquieu s’y adresse souvent aux hommes d’Etat, nous ne saurions en recommander trop vivement la lecture aux économistes. Il s’y trouve sur les . Taine, loc. cit., p. 278.

. On trouvera aussi d’importants développements sur des sujets économiques dans les travaux inédits de Montesquieu dont la publication vient d’être commencée (février 1891) par les descendants de Montesquieu et par quelques savants éru* dits bordelais.

. Ch. i.

. Ch. v.

. Ch. vi.

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MONTESQUIEU

impôts les observations les plus exactes et les vues les plus sûres.

« Pour bien fixer les revenus de l’État, lisons-nous dans le chapitre i er , il faut avoir égard et aux nécessités de l’État et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels pour des besoins de l’État imaginaires... Il n’y arien que la sagesse et la prudence doivent plus régler que cette portion qu’on ôte et cette portion qu’on laisse aux sujets. » Dans le chapitre vu, Montesquieu distingue et décrit trois catégories d’impôts : impôts sur les personnes — sur les terres — sur le9 marchandises. Ces derniers que nous appelons aujourd’hui impôts indirects semblent avoir ses préférences 1 . « Les droits sur les marchandises, dit-il, sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu’on ne leur fait pas une demande formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés que le peuple ignorera presque qu’il les paye. Pour cela, il est d’une grande conséquence que ce soit celui qui vend la marchandise qui paye le droit. Il sait bien qu’il ne paye pas pour ’lui, et l’acheteur, qui dans le fond paye, le confond avec le prix. » Mais il lui paraît nécessaire qu’il y ait un « rapport entre la marchandise et l’impôt, et que, sur une denrée de peu de valeur, on ne mette pas un droit excessif » (ch.^ vm). Il repousse l’impôt sur le sel, et il critique justement l’impôt sur la consommation des boissons. « Pour que le citoyen paye, dit-il, à propos de ce dernier, il faut des recherches perpétuelles dans sa maison. Rien n’est plus contraire à la liberté ; et ceux qui établissent ces sortes d’impôts n’ont pas le bonheur d’avoir, à cet égard, rencontré la meilleure sorte d’administration. » Les chapitres xix et xx contiennent les critiques les plus vives et les plus fondées à l’adresse du système de la perception des impôts par des fermiers 2.

Livre XIV. — Des lois dans les rapports qu’elles ont avec la nature du climat. Livre XV. — Comment les lois de V esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat. Livre XVI. — Comment les lois de V esclavage domestique ont du rapport avec la nature du climat.

. Sur ce point très important, Montesquieu se sépare profondément des physiocrates, de Quesnay, de Turgot, de Dupont de Nemours. On sait que ceux-ci repoussaient toute espèce d’impôts indirects. Faut-il expliquer cette divergence en disant que les physiocrates étaient des économistes, tandis que Montesquieu était plutôt un politique ? Tl nous paraît plus juste de dire que Montesquieu, en ce qui concerne les impôts, a fait de l’art économique, tandis que les physiocrates ont fait exclusivement de la science. . On trouvera, dans le ch. xvji, décrites en termes saisissants, les conséquences économiques et financières du militarisme et du régime de la paix armée.