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La convocation des états généraux en 1 614 mettait en mouvement toutes les idées de régénération et de réforme dont la France s’est montrée plus d’une fois animée avant 1789, et qui devaient être condamnées à une série d’avortements. Pourtant il s’était accompli un certain progrès dans le sens de ce que nous appelons les idées modernes. La flétrissure qui semblait déshonorer le travail et l’industrie pendant le moyen âge tendait à s’effacer. Le grand négoce était honoré. Richelieu accordait plus d’un gage légal à ces idées auxquelles Colbert donnait une consécration pratique éclatante. Enfin, ce qui était un signe des temps nouveaux, on ne séparait plus la richesse de la nation de sa grandeur. Déjà Henri IV, en réagissant contre les préjugés d’une autre époque et en introduisant en France par la culture du mûrier l’industrie de la soie, avait montré qu’il comprenait les conditions de la prospérité nationale et du progrès industriel. Montchrétien était animé de toutes ces pensées, qui étaient en quelque sorte dans l’air, lorsqu’il publia, peu de temps après la clôture des états, son Traité de l’économie politique dédié, comme nous l’avons dit, au roi et à la reine mère, ce qui indique déjà qu’il faisait appel à l’autorité royale pour faire entrer la France dans les voies qu’il indiquait.

On ignore quel fut l’effet du livre. Disons toutefois, avant de l’apprécier, ce qu’il advint de son auteur. Cet ordre de préoccupations élevées n’avait pas calmé ce caractère ardent et mobile. Pendant six ans encore après cette publication, il s’occupe activement de ses affaires industrielles et commerciales, il frète des navires, il soutient des procès, puis, que se passa-t-il ? Quelle révolution se fait dans son esprit ? Catholique de langage dans son livre le voici devenu, on ne sait comment, le plus zélé des sectaires protestants. Il se jette en plein dans les guerres de religion. « En 1621, écrit M. Jules Duval, dans l’esquisse qu’il a tracée de sa vie et de ses idées, il est des premiers à prendre les armes pour appuyer les mouvements des calvinistes qui font de La Rochelle leur quartier général. Il se jette dans Jargeau, que bientôt après il est obligé de remettre aux troupes du roi, puis dans Sancerre et à Sully, où il n’est pas plus heureux. Enfin, il pénètre dans La Rochelle, à la fin de juillet et, grâce à ses exploits, que rehaussaient son courage et son éloquence, il acquiert parmi les réformés une grande autorité. Ils le chargent d’organiser la guerre en Normandie, le pays de son origine, de ses amitiés et de ses relations. C’est la mission qu’il remplissait depuis deux mois avec beaucoup d’ardeur et non sans succès, lorsqu’il se laisse surprendre le 7 octobre dans le bourg de Tourailles, situé entre Falaise et Domfront, par le seigneur du lieu, resté fidèle à la cause du roi. Ce seigneur était Claude Turgot, de la famille, déjà considérable en Normandie, qu’illustrait au siècle suivant le ministre de Louis XVI. Sommé de se rendre, Montchrétien se défendit vaillamment, mais blessé à mort d’un coup de pistolet, il expira bientôt, achevé à coups de pertuisane. Avec la vie du chef de parti ne finit pas l’expiation. Le cadavre fut transporté à Domfront, où un procès lui fut fait, et les juges le condamnèrent, comme coupable de lèse-majesté au premier chef, à avoir les membres rompus et brûlés et les cendres jetées au vent (12 octobre 1621). Quelques jours après, le parlement de Rouen disputait ces malheureux restes aux juges de Domfront. »

On fera observer pour laver du reproche de trahison la mémoire de Montchrétien que d’autres, dans ces temps de divisions civiles, subirent les mêmes entraînements sans que leur mémoire en soit déshonorée, et on peut citer en témoignage le nom même du grand Condé. On ne saurait refuser à Montchrétien de rares qualités de bravoure à la guerre, comme d’initiative entreprenante dans les travaux pacifiques ; on ne saurait contester d’avantage qu’il eut des talents de différents genres ; mais, malgré tout, l’impression qui ressort de cette existence agitée et troublée n’est pas très nette. On craint de le calomnier en le traitant d’aventurier ; on craint de le juger trop favorablement en le louant comme une sorte de héros plein d’initiative et de vaillance. En face de ce que cette destinée laisse d’énigmatique, rien n’empêche de faire pencher la balance du côté le plus favorable. Mais c’est l’économiste qu’il est temps d’apprécier.

Le Traité de l’économie politique a été diversement apprécié. Les uns n’y ont vu qu’une déclamation ; d’autres l’ont loué sans mesure. Il y a sans doute une bonne dose de rhétorique dans cette ouvrage ; la rhétorique se mettait alors partout. On ne saurait toutefois méconnaître l’expression heureuse de certaines vérités économiques et le vif sentiment des besoins du temps. Ce n’est pas une raison pour suivre les panégyristes jusqu’au bout. On peut en citer deux de date récente qui sont même, croyons-nous, les seuls. L’un, M. Jules Duval, a eu le mérite de signaler, d’extraire, de commenter des pages souvent remarquables de l’ouvrage de Montchrétien dans une série de lecture s faite s à l’Académie des sciences morales et politiques, qu’il a réunies en un volume d’environ 200 pages