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grands crus appartenaient à un propriétaire unique ou à un syndicat de propriétaires, si Facteur, l’avocat, le peintre, le sculpteur, l’écrivain que nous supposons étaient, à un certain moment, les seuls existant dans le monde. Mais qui ne voit que le propriétaire du Château- Laffi te, par exemple, est soumis à la concurrence des propriétaires des autres crus de la Gironde, beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense communément, à celle des propriétaires des crus de la Bourgogne et même, dans une certaine mesure, à colle des propriétaires d’une foule de vignobles inconnus. Qu’il s’avise de hausser ses prix au delà d’un certain chiffre, et l’on verra les consommateurs se détourner de lui et s’adresser aux propriétaires des autres châteaux qui couvrent notre terre du Médoc. Et, si une entente venait à s’établir entre tous ces propriétaires, il n’y aurait pas encore monopole. Il n’y aurait qu’une plus grande limitation de la concurrence.

On objectera peut être que le Château-Laffite possède des qualités propres qui le distinguent si nettement des autres vins de la Gironde ou d’ailleurs, que toute concurrence à son égard est impossible, qu’un vin de son espèce est unique, et que son propriétaire est bien le seul producteur et le seul vendeur d’un produit d’une certaine espèce c’est-à-dire, un véritable monopoleur. A cela nous répondons qu’il ne suffit pas qu’un objet se distingue plus ou moins des autres objets de la même espèce pour que ceux-ci ne soient point des produits concurrents. L’identité entre tous les produits d’une même espèce n’est nullement nécessaire pour que leurs différents détenteurs se fassent une concurrence très effective. Aussi bien, d’ailleurs, que le propriétaire de tel ou tel cru classé, le tailleur qui nous habille, le bottier qui nous chausse, le boucher et le boulanger qui nous alimentent donnent à leurs produits des qualités particulières que nous ne trouverions pas, rigoureusement, au même degré, dans les produits des autres tailleurs, bottiers, bouchers et boulangers. Faut-il, pour cela, leur attribuer un monopole ?

Il y aurait, à ce compte, dans presque 

toutes les branches de la production, autant de monopoleurs que de fabricants et de fournisseurs. Chacun devrait un monopole à l’expérience, à l’habileté ou à l’application qu’il apporterait dans son travail. On ne saurait évidemment aller jusque-là. On dira sans doute qu’un produit ne devient unique en son genre, qu’autant qu’une différence très profonde et très marquée le sépare des autres produits similaires. Mais encore faudrait-il pouvoir indiquer à quels caractères MONOPOLE

on reconnaîtra la différence qui fait apparaître le monopole et celle qui laisse subsister la concurrence.

Les observations qui précèdent ne permettent pas d’accepter le prétendu monopole de l’acteur ou du peintre célèbre, plus que celui du propriétaire d’un grand cru. A moins d’oser soutenir que chaque acteur et chaque peintre jouit d’un monopole, du monopole de ses œuvres, par cela seul que celles-ci ne peuvent se confondre avec celles des autres, 1 on doit admettre avec nous qu’un acteur ou un peintre, si rare que soit son talent, si grande que soit sa popularité, a nécessairement pour concurrents tous les acteurs et tous les peintres.

Nous pourrions passer en revue la longue liste des monopoles généralement admis. Nous constaterions plus d’une fois encore que l’on parle de monopole dans des cas où il y a simple limitation de ] a concurrence l . Nous préférons résumer nos explications, et conclure en disant qu’il faut, sous peine de confondre des phénomènes distincts et même opposés, donner à l’expression monopole son sens étymologique ((aovoç <x(ùim), et l’employer exclusivement à désigner la situation dans laquelle ceux qui ont besoin d’une certaine espèce d’objets ou de services ne peuvent les demander qu’à un seul vendeur ou à un seul groupe de vendeurs 2.

. Classification des monopoles.

On peut classer les monopoles en les considérant à six points de vues différents. ° Au point de vue de leur origine. — Il y a des monopoles provenant du fait des individus et d’autres établis par voie d : autorité, ! par l’Etat ou par 3a commune. On trouve un exemple des premiers dans l’accaparement par un puissant capitaliste ou par un syndicat de la vente d’un certain produit, sur toute la surface du globe. Il a été traité du monopole de l’accapareur au mot Accaparement. Nous nous bornerons à dire ici que l’organisation actuelle de l’industrie et du . Il n’est pas rare d’entendre citer le- monopole des avocats à côté de celui des avoués. Il y a là une confusion qu’il nous suffira de signaler. Le monopole de la compagnie des avoués attachés à un tribunal ou à une cour d’appel est incontestable. Il est constitué essentiellement par la limitation légale du nombre des avoués. Le nombre des avocats n’étant point limité, les conditions requises pour faire partie de l’ordre pouvant être remplies par un nombre indéfini de personnes, il n’y a évidemment pas de monopole des avocats.

. Condorcet {loc. cit., t. I, p. 469, de la Collection des mélanges d’économie politique, Guillaumin, 1847) attribue un monopole à l’acheteur qui se trouve seul en face de plusieurs vendeurs. C’est évidemment un uut™ terme qu’il faudrait employer pour désigner une situation diUercûte bien qu’analogue.