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On comprend mieux maintenant, d’après ces données, pourquoi les gouvernements ont voué aux impôts indirects une tendresse intéressée. Après 1870-1871, c’est aux impôts indirects que l’Assemblée nationale demanda presque exclusivement les ressources nécessaires à l’équilibre des budgets. En Allemagne, M. de Bismarck ne dissimule pas ses préférences en leur faveur. « Vous savez, dit-il, que je suis opposé aux contributions directes et partisan des impôts indirects et que j’aspire sur ce point à une réforme complète, qui changera en richesse la pauvreté actuelle de l’empire. » {neichstag, 22 lévrier 1878.) Plus tard, il dit encore : « Quand je pense que l’impôt des boissons en France rapporte 4S0 millions de francs, que le tabac rapporte presque autant, le timbre et l’enregistrement davantage, j’en éprouve une certaine humiliation et je me dis : Est-ce que nous serions moins intelligents, est-ce que nous aurions moins le sens des affaires que les Français ? » (Landtag prussien, 4 février 1881.) Tous les gouvernements, d’ailleurs, qu’ils en fassent ou non l’aveu officiel, attribuent, en fait, une place prééminente aux impôts indirects 1 , En France, leur montant représente quatre ou cinq fois celui des impôts directs ; en Italie, le double environ ; en Belgique, à peu près le triple et en Angleterre le triple aussi, malgré les produits considérables de i’income-tax. Quant à l’empire d’Allemagne, il s’alimente presque exclusivement d’impôts indirects.

Cependant, les contributions directes possèdent de leur côté de précieux et incontestables avantages qu’il importe de ne pas dédaigner. Elles progressent lentement, avons-nous dit, mais avec sûreté et certitude. Elle ne s’effarouchent pas, à la moindre crise, comme leurs brillants rivaux. On les retrouve toujours immuables au moment où l’on a besoin d’elles.

d’ailleurs, tels qu’ils sont extraits des Comptes généraux, des finances pour les années antérieures à 1889 et des tableaux publiés au Journal officiel pour cette dernière année. . IL Thiers, dans son livre sur la Propriété (écrit en 1848), a prononcé les anathèmes suivants contre l’impôt direct : « L’impôt indirect est l’impôt des pays avancés en civilisation, tandis que l’impôt direct est celui des pays barbares. A La première chose qu’un gouvernement sait faire, c’est de k demander à chaque homme, à chaque terre une certaine somme. Les Turcs, le bâton à la main, savent bien percevoir le miri... Mais tandis que la Turquie vit du miri, l’Angleterre vit de l’excise et des douanes, après avoir aboli l’impôt foncier. En un mot, pays pauvre, pays esclave et impôt direct. Pays riche, pays libre et impôt indirect. » Évidemment, M. Thiers, dominé par le désir de combattre les projets désordonnés qui se produisaient à cette époque wjms forme de nouveaux impôts directs, a excédé sa propre jie»see. Tout au plus réserve-t-on aujourd’hui de telles objurgations aux seuls impôts de répartition, comme nous le verrons.

Tant que la richesse du pays se développe normalement et ne subit que de passagères et inévitables oscillations, on applaudit aux impôts indirects, dont le rendement marche sans cesse en avant. Mais qu’une guerre, qu’une révolution surviennent, les mérites des contributions directes se révèlent alors à tous les yeux ; car seules, grâce à leurs contingents et à leurs rôles nominatifs, elles continuent à procurer au Trésor, sans se laisser émouvoir, un chiffre égal de perceptions, plus que jamais nécessaires. Les épisodes de la révolution de 1848 en fournissent un exemple frappant. Après le 24 Février, les affaires étaient suspendues, le crédit supprimé, la confiance provisoirement absente. Partant, les Laxes indirectes perdirent pied et s’effondrèrent. Au contraire, les contributions directes non seulement continuèrent à fournir avec régularité leur rendement primitivement prévu, mais on put les surcharger de 190 millions par l’impôt des 45 centimes additionnels. Ces 190 millions procurèrent au Trésor les seuls suppléments de ressources qu’il lui était alors possible d’espérer. Le ministre Garnier-Pagès l’a déclaré expressément i . « Si l’impôt des 45 centimes, a-t-on dit, a tué la république, il a sauvé le gouvernement. »

De même, en 1871 et 1872, tandis que les impôts indirects étaient en déroute, on vit les contributions directes maintenir leur position sans fléchir sous le coup des événements.

Enfin, un dernier reproche est souvent adressé aux impôts indirects, ou plutôt à une partie d’entre eux : c’est que leur incidence porte sur des consommations nécessaires à la vie, sur les objets de première nécessité. L’accusation, on le voit, mériterait qu’on s’y arrêtât. Mais, comme il vient d’être dit, elle ne peut s’adresser qu’à une partie seulement des impôts indirects, celle qui repose sur les consommations. Un autre chapitre classifiera judicieusement les impôts sur la propriété et les impôts sur les consommations : nous y renvoyons pour terminer le sujet des impôts directs et indirects. . « Le gouvernement de la république pouvait-il songer à surélever l’impôt indirect qui a pour base la consommation et qui, pesant spécialement sur le travail, frappe proportionnellement plus sur le pauvre que sur le riche ? C’eût été mentir à son origine...

« Bon gré, mal gré, en dépit de tous les systèmes, de tous les efforts, de toutes les volontés, le ministre était rejeté, de position en position, à une seule et dernière issue : l’impôt direct, dont les rôles étaient distribués et dont la perception pouvait avoir lieu le lendemain. Le lendemain était assuré... L’impôt des 43 centimes était donc une mesure de salut, non de fiscalité. C’était la vraie solution, simple, sensée, légère au travailleur et au pauvre. » (Garnier-Pagès, ministre des linances, Histoire de la Révolution de i848 } t. VIL}