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Lois ; six mois suffirent au marquis de Mirabeau pour écrire VAmi des hommes. On s’en aperçoit de reste en le lisant, « C’est un de ces livres, a dit un peu sévèrement M. Edmond Rousse, dont tout le monde parle, que presque personne ne connaît, et que, dans chaque génération, un citoyen courageux devrait lire... pour en dispenser tous les autres. » VAmi des hommes eut le succès de ces rares écrits qui viennent à point proclamer très haut ce que la foule des esprits sentetpense. La Théorie de Vimpôt accrut encore sa popularité. Le marquis de Mirabeau y avait fort malmené la compagnie puissante qui tenait la ferme des taxes : cette charge à fond lui valut une lettre de cachet, puis un exil en sa terre du Bignon. Ses autres écrits contribuèrent peu à sa renommée : désormais le fougueux marquis allait occuper l’attention publique d’une tout autre manière, en instituant contre sa femme, qui lui avait donné onze enfants, et contre son second fils, le futur tribun, cette longue suite de procès scandaleux et de châtiments despotiques, qui ont nui grandement à sa mémoire. En effet, on Ta tenu longtemps pour un fort méchant homme, qui enfermait les siens dans des couvents et des donjons, tandis qu’il séparait, devant le public, d’un hypocrite amour de l’humanité. M. de Loménie a revisé le procès et, pièces en main, a démontré que l’Ami des hommes n’était pas le scélérat impitoyable qu’il avait paru être. Il a été durant toute sa vie comme emporté au hasard par cette tempête d’idées qui tourbillonnaient dans sa tête, sorte de tête de Janus, qui nous présente deux visages, tournés l’un vers l’aurore déjà naissante des temps nouveaux, l’autre, au contraire vers un passé caduc. Car il était hanté sans cesse par les préjugés, les souvenirs, les préoccupations de l’esprit féodal. 11 a passé son existence à caresser le rêve d’une maison puissante et à travailler pour ses descendants. C’était ce qu’il appelait, dans son langage pittoresque, à la Saint-Simon, sa postéromanie. Et ce même homme est un de ceux que le génie du xvm c siècle, du siècle de la Révolution, a marqués le plus fortement de son empreinte. Dans le domaine de la science économique, le marquis de Mirabeau est un précurseur et un initiateur, non moins que Qnesnay et de Gournay, dont il se distingue nettement.

Varagnac.

MIRABEAU (Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de), fils du précédent, né au Bignon, près de Nemours, le 9 mars 1749, mort à Paris, le % avril 1791 ; appelé d’abord de Pierre-Buflière, du nom d’une terre apparte-MIRABEAU (Honoré)

nant à la famille de sa mère ; fut envoyé, à dix-huit ans, dans un régiment de cavalerie, déserta bientôt, et fut enfermé dans la citadelle de l’île de Ré ; obtint cependant de prendre part, en 1769, à l’expédition de Corse, puis, ayant quitté le service, s’occupa quelque temps d’économie rurale, E se maria en 1772 et alla vivre dans le château de Mirabeau. Mais une existence calme et réglée ne pouvait convenir à cette âme orageuse. A peine marié, il s’endette gravement, et le marquis, en vue de le soustraire aux poursuites de ses créanciers, obtient un ordre du roi qui confine le jeune comte dans le château paternel, puis à Manosque.

Alors commence ce qu’on peut appeler « les prisons» de Mirabeau. A la suite d’une rixe avec un gentilhomme de Provence, il est incarcéré au château d’If, et de là transféré, dans le Jura, au fort de Joux. Sa captivité, toutefois, était peu rigoureuse. Le commandant du fort permettait à son prisonnier des excursions à Pontarlier. Ce fut là qu’il connut M me de Monnier, cette fameuse « Sophie » à laquelle il devait écrire les Lettres brûlantes qui forment le livre le plus connu et, à vrai dire, le seul lu aujourd’hui de Mirabeau. Son intrigue découverte, il s’enfuit en Hollande où il vit de sa plume. Arrêté de nouveau et détenu audonjondeVincennes, il y passe trois ans, et, quand il en sort, réduit aux expédients, il va chercher fortune en Angleterre, écrivant sans cesse, et sur les sujets les plus dissemblables, emporté à travers l’étude, comme à travers la vie, par une fièvre de passion tumultueuse qui rappelle, — mais avec bien plus de netteté et de bon sens, — l’exubérance paternelle.

Revenu à Paris, en 1785, Mirabeau entreprit d’écrire sur les finances, et, mettant sa plume au service du ministre Calonne, se signala par trois brochures où il prenait à partie la Caisse d’escompte, puis la banque de Saint-Charles, enfin la Compagnie des eaux de Paris. Le publiciste précédait ainsi et préparait de loin l’orateur. 11 s’en faut, d’ailleurs, que ces œuvres de polémique, destinées à être oubliées aussi vite que les circonstances éphémères qui les suscitaient, présentent des qualités originales. Mirabeau s’y montre un de ces primesautiers nés pour l’action rapide, et qui sont toujours supérieurs à leurs livres. Ses livres, au reste, n’étaient pas entièrement de lui. Mirabeau excellait, dès lors, àutiliser pour ses ouvrages, comme il Ta fait plus tard pour ses discours, des collaborateurs dévoués et habiles, dont il s’assimilait les travaux avec une rare souplesse d’intelligence, se bornant à y « mettre le trait». Cest ainsi que l’étude sur la Caisse