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qu’aux riches. Mais ce résultat est inhérent à tout impôt qui ne détruira pas les rapports des différentes classes de la société. Cette inégalité est une conséquence de l’inégalité des fortunes : essayer d*y porter remède en adoptant un taux progressif, c’est établir un impôt sur les riches pour le soulagement des pauvres et non pour l’intérêt du revenu public- » {Sur la taxation.) En matière d’héritages, l’idée du nivellement au moyen de la progression a trouvé de nombreux adhérents, comme nous l’avons déjà constaté plus haut en citant les extraits de divers théoriciens, de John-Stuart Mill notamment et des saints-simoniens. Mais la question n’est pas restée sur le seul terrain de la science ; elle tend aujourd’hui à pénétrer dans le domaine de la pratique et diverses propositions de loi, appuyées d’exposés de motifs, déclarent que l’État devrait s’emparer, par le moyen de tarifs progressifs, d’une partie du produit des successions. Déjà, en 1848, un projet officiel s’exprimait ainsi : « Des controverses sérieuses se sont élevées sur l’impôt progressif appliqué à la propriété personnelle, aux revenus fonciers et mobiliers. Mais l’impôt progressif semble s’adapter naturellement à la matière des successions. Les biens acquis par cette voie ne sont pas le fruit du travail et de l’intelligence de celui qui les recueille : il les doit au hasard de la naissance, au bonheur, parfois même au caprice des affections privées... » (Projet du ministre des finances Goudchaux, 3 juillet 1848.) Le projet créait, à la suite, une progression de 1 à 6 p. 100 en ligne directe, successivement élevée de il à 20 p. 100 entre étrangers.

D’autres projets plus radicaux surgissent aujourd’hui. Ils contestent les principes de propriété naturelle qui attribuent à chacun de nous le droit de disposer de ses biens après sa mort. La copropriété familiale n’existe pas davantage à leurs yeux. « Aussitôt que nous mourons, répètent-ils d’après Siméon, préparateur du code civil, tous les liens qui tenaient nos propriétés dans notre dépendance se rompent : la loi seule peut les renouer. Sans elle, les biens destitués de leur maître seraient au premier occupant. La succession est donc une institution purement civile par laquelle la loi transmet à un propriétaire nouveau *. »

. Ce passage du discours de Siméon au Corps législatif, à 

propos du titre « des Successions » du code civil (séauee du 29 germinal au XI), attribue, sang doute, d’une manière rxplicite, à la loi seule le pouvoir successoral. Le de cujus ne posséderait alors sur ses propres biens qu’un droit de propriété viagère. Mais d’autres passages du même orateur semblent inciiner vers une opinion contraire. En tous cas, aes collègues du conseil d’État ou du Tribunat, Treiïhard, U — IMPOT

Du moment que la loi seule crée le droit successoral, elle peut le modifier, l’ébrancher, et même le supprimer à son gré. C’est à quoi aboutissent plusieurs projets soumis au parlement dans le cours de ces dernières années, lesquels s’attachent à réduire le nombre des degrés successoraux, à éliminer même entièrement tous les collatéraux, à attribuer à l’État les successions ab intestat, etc. (V. les projets de MM. Sabatier, Maurice Faure, etc., en 1888, celui de M. Barodet en 4887 et le Rapport de la commission d’initiative à ce sujet en 1888, celui de MM. Barbe, Vïger, etc., en 1890.) D’autres recherchent plus spécialement, dans la progression des tarifs, les moyens d’arriver aux mêmes résultats. Ils exemptent de tout impôt les successions en ligne directe recueillies par plusieurs enfants, lorsque leur capital ne dépasse pas 20000 fr. En revanche, ils frappent les successions recueillies par un enfant unique et toutes autres successions recueillies par des ascendants, frères, sœurs et collatéraux, etc., d’une retenue progressive réglée ainsi qu’il suit : Au-dessous de 2000 francs de capital,. 1 p. 100 De 2000 à 5000 francs 3 —

De 500C à 10 000 francs S —

De 10 000 à 20 000 francs 7 —

Et ainsi de suite, jusqu’à :

De 1 million à 5 millions 40 p. 1 00 Au-dessus de o millions 50 —

La progression arrive ainsi à prélever 50 p. 100 au profit de l’État, c’est-à-dire la moitié du capital transmis. Elle s’arrête provisoirement à ce maximum de 50 p. 100 ; mais il est bien entendu que ce n’est qu’un premier pas. Car l’exposé ajoute ces mots significatifs en terminant : « Sagement échelonnée sur une longue série d’années, cette progression permettrait d’arriver presque sans secousse à l’abolition complète ou presque complète de l’héritage. » (Proposition de loi sur l’hérédité de l’État et l’impôt progressif sur les successions, présenté par MM. Giard, Henry Maret, Laguerre, Tony Révillon, députés, 26 juin 1884.) Telles sont donc les conséquences possibles du système progressif : nivellement des fortunes, abolition des héritages, en un mot, spoliation arbitraire s’abritant derrière un tarif fiscal.

Bigot-Préameneu, Jaubert, ont exprimé, au cours de la même discussion et de celle relative aux « Testaments », des idées complètement opposées, reconnaissant, à diverses reprises, en termes formels, le droit du testateur de disposer après sa mort des biens qu’il a possédés en toute propriété, (et non pas seulement en usufruit), pendant sa vie. La lectune des documents préparatoires des titres « des Successions » et « des Testaments » est très instructive à ce point de vue.