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les écrivains et les penseurs de son pays, mais sur tous ceux du monde civilisé, sur les adversaires comme sur les partisans de ses doctrines. Il est un des hommes qui ont le plus grandement accru le capital intellectuel et moral de l’humanité.

Nul plus que lui n’a complété et rehaussé les œuvres de la pensée par les qualités du caractère et par l’exemple de la vie. On pourrait dire, sans exagérer, que, chez lui, la droiture, la sincérité, l’indépendance, le désintéressement, la tolérance faite de sympathie et non de scepticisme, l’ardente passion du bien se rencontraient à un degré plus éminent encore que la puissance, la pénétration, la souplesse de l’esprit, que l’étendue et la diversité des connaissances et des aptitudes. Tel est le sentiment qu’exprime M. Gladstone dans une lettre par lui adressée à l’un des récents biographes de Stuart Mill, M. Courtney 1 . « Nous connaissions bien, écrit M. Gladstone, la supériorité intellectuelle de M. Milî, avant son entrée dans le Parlement (1865). La conduite qu’il y tint révéla principalement, selon moi, du moins, une singulière élévation morale. Je me souviens maintenant qu’à cette époque, il y a déjà plus de vingt ans, je l’appelais familièrement le « saint du rationalisme ». De tous les mobiles égoïstes et mesquins qui déterminent les hommes dans le Parlement, aucun ne pouvait le toucher ni l’entraîner... Je n’ai pas besoin de vous dire, ajoute M. Gladstone, que, dans l’intérêt même delà Chambre des communes, je me réjouis de son élection et que je déplorai son échec. Il nous rendait tous meilleurs. Dans tous les partis, dans toutes les opinions, je confesse tristement que de tels hommes sont rares » . La France nous semble pouvoir partager avec l’Angleterre l’honneur de compter Stuart Mill parmi ses plus hautes illustrations. îî a visité notre pays à plusieurs reprises et l’a habité longtemps. Les trois dernières années de sa vie se sont écoulées à Avignon. Ce qui est mieux encore, il connaissait et il aimait notre histoire ; il a étudié spécialement notre révolution de 1789 et celle de 1848. De son propre aveu, son évolution mentale fut profondément déterminée par quelques-uns de nos penseurs, par Turgot, par Saint-Simon, par Auguste Comte, par de Tocqueville. Et, suivant la juste observation de son éminent ami John Morley, « le plus remarquable trait caractéristique de Stuart Mill, trait moins anglais que français, était l’intervention constante, dans ses spéculations sociales, d’un élément idéal et Imaginatif, et l’ardente . Life of John Stuart Mill, bv Courtney. Londou, I8S9, p. 141-142.

MILL (Stuart)

conviction que l’effort, la sagesse et l’habileté des hommes peuvent, si les arrangements sociaux leur en donnent la liberté, élever la destinée humaine à un degré que nous ne saurions concevoir dans le présent 1 ». . Ses premières années

John Stuart Mill était né à Londres, le 20 mai 1800. Il fut soumis par son père, James Mill, à un système de culture intellectuelle intensive dont la prodigieuse exagération eût pu compromettre le développement de ses facultés. Il ne connut point l’enfance. Sous l’exclusive direction de James Mill, en la seule compagnie des amis de ce dernier, de Ricardo, de Joseph Hume, de Jérémie Bentham, il avait, à l’âge de quatorze ans, lu, dans le texte, presque tous les auteurs grecs et latins ; il avait résumé la Rhétorique d’Aristote et les principaux Dialogues dePlaton ; il connaissait les œuvres des grands écrivains de son pays ; il était initié à l’économie politique par les livres d’Adam Smith et de Ricardo.. Il vint, pour la première fois, en France, en mai 1820. Il passa quelques jours à Paris où il fut présenté à J.-B. Say et à Saint-Simon, et il séjourna aux environs de Toulouse, puis à Montpellier, pendant un peu plus d’une année, dans la famille du frère de Jérémie Bentham, le général Samuel Bentham. Il attribue à ce voyage l’heureux résultat de « l’avoir préservé de l’erreur très répandue en Angleterre, et dont son père lui-même, malgré sa supériorité, n’était pas exempt, de l’erreur de juger toutes choses d’un point de vue purement anglais 2 ». Revenu en Angleterre, en juillet 1821, il étudia la psychologie avec Locke, Condillac, Helvétius, et le droit avec John Austin. Son intimité avec Grote, ses relations avec Macaulay datent de 1822.

. Principales phases de son évolution intelle otueUe et de sa carrière scientifique. L’année 1823 fut le début de la période durant laquelle Stuart Mill, sans quitter la voie dans laquelle l’avait engagé sa première éducation, réussit à échapper à l’influence absorbante de son père 3 . Jusque-là ses idées i. John Morley, Critical Miscelîanies, 2 e série, 1877, p. 241-242. M. Morley nous parait, ici, beaucoup plus près de la vérité que M. Fouillée, dans les pages de son livre la Science sociale contemporaine » où il oppose Stuart Mill à lécole française, en ce qui concerne la méthode de la science sociale, V. p. 5*5, 62.

. Autobiography, p. 61.

. C’est en cette même année (21 mai 1823) que Mill entra, grâce à son père, dans la Compagnie des Indes, en qualité de clerc salarié. Son traitement annuel fut porté successivement de de 600 Jivres sterling en 1828, à 1200 en 1836, et à 2000 en i836. 11 fut mis à la retraite, en 1838, avec uue pension de iSOO livres.