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conviction scientifique. C’est la lumière qui nous guide dans l’inextricable réseau des faits, qui nous dit de nous défier des apparences, d’étudier de plus près les observations lorsqu’elles semblent contredire les vérités établies. Claude Bernard, qui a donné dans les sciences physiologiques une part si grande à l’expérimentation, a tracé de main de maître le rôle important de l’analyse rationnelle dans la recherche scientifique [Introduction à la médecine expérimentale,^. 95) : « Il résulte que, si un phénomène se présentait dans une expérience avec une apparence tellement contradictoire, qu’il ne se rattachât pas d’une manière nécessaire à des conditions d’existence déterminées, la raison devrait repousser le fait comme un fait non scientifique. 11 faudrait attendre ou chercher par des expériences directes quelle est la cause d’erreur qui a pu se glisser dans l’observation. Il faut, en effet, qu’il y ait eu erreur ou insuffisance dans l’observation ; car l’admission d’un fait sans causes, c’est-à-dire indéterminable dans ses conditions d’existence, n’est ni plus ni moins que la négation de la science. De sorte qu’en présence d’un tel fait un savant ne doit jamais hésiter ; il doit croire à la science et douter de ses moyens d’investigation. Il perfectionnera donc ses moyens d’observation et cherchera par ses efforts à sortir de l’obscurité ; mais jamais il ne pourra lui venir à l’idée de nier le déterminisme absolu des phénomènes, parce que c’est précisément le sentiment de ce déterminisme qui caractérise le vrai savant,

« Il se présente souvent en médecine des faits mal observés et indéterminés qui constituent de véritables obstacles à la science, en ce qu’on les oppose toujours en disant : c’est un fait, il faut l’admettre, La science rationnelle fondée, ainsi que nous l’avons dit, sur un déterminisme nécessaire, ne doit jamais répudier un fait exact et bien observé ; mais par le même principe, elle ne saurait s’embarrasser de ces faits recueillis sans précision, n’offrant aucune signification et qu’on fait servir d’arme à double tranchant pour appuyer ou infirmer les opinions les plus diverses. »

C’est grâce à l’analyse rationnelle que l’on peut, au moyen de l’abstraction séparer un phénomène déterminé d’un ensemble complexe d’autres phénomènes, afin de le mieux étudier. Lorsqu’on analyse les différents éléments delà puissance productive, les agents naturels et le travail sous ses différentes formes, il faut bien, de toute nécessité, procéder isolément ou bien faire des hypothèses sur les autres éléments, les rendre constants ou leur donner des rapports déterminés pour se consacrer à l’élément que Ton envisage. Les astronomes emploient du reste très efficacement ce procédé, et aussi les physiologistes. Assurément, tous les éléments de la puissance productive sont inséparables, liés qu’ils sont par une solidarité qu’on ne peut matériellement briser ; cela n’empêche pas que si l’on étudie le travail d’organisation de l’atelier, la division du travail, par exemple, il faudra faire abstraction des combinaisons que forment entre eux les différents éléments de la puissance productive, abstraction sans laquelle, par suite de la complexité des rapports, toute analyse serait impossible. C’est après avoir analysé ces éléments que, leur nature étant connue, il devient plus facile de se rendre compte de leur action combinée. Nous sommes amené ainsi à parler de l’emploi des mathématiques comme moyen d’analyse rationnelle en économie politique. En général, les économistes, même ceux qui, par la nature de leur esprit, tendaient le plus vers ce procédé d’analyse, Font repoussé, les unsparce qu’il n’apportaitpas de découvertes ou tout au moins des résultats nouveaux certains et appréciables, les autres parce que la difficulté inhérente au maniement du calcul algébrique les rebutait. Les mathématiques ^présentent évidemment cet avantage de faire circuler, au moyen d’opérations pour ainsi dire mécaniques, des grandeurs que l’on ne pourrait suivre par la pensée dans leurs rapports complexes, et qu’il serait impossible surtout d’exprimer dans le langage ordinaire. De plus, l’emploi des fonctions mathématiques permet de renfermer des quantités dont les variations et les développements subissent des lois propres, dans des expressions relativement simples. Mais les difficultés se présentent fort nombreuses, comme nous le verrons plus loin pour la position des questions.

Cournot, le premier en date qui ait fait, avec cette méthode, une œuvre digne d’attirer l’attention, ne semble pas s’être trop illusionné à cet égard. A la vérité, dans la préface de son ouvrage : Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838), il critique en ces termes un des mathématiciens qui l’avaient précédé dans cette voie, Canard, auteur des Principes d’économie politique (anX) couronnés par l’Institut : « Ces principes sont si radicalement faux, écrit-il, et l’application est tellement erronée que le suffrage d’un corps éminent n’a pu préserver l’ouvrage de l’oubli. » Mais, plus tard, il devint moins ironique et, à la suite de l’insuccès presque absolu de son premier livre sur la théorie mathématique de la richesse, il abandonna complètement les formules