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Dans ce pays, dont le système monétaire est fondé sur l’étalon d’argent, il ne paraît pas que le niveau général des prix se soit élevé : il aurait plutôt baissé 1 . Le pouvoir d’achat de l’argent y est resté intact. On en doit conclure qu’il existe dans l’Inde une demande d’argent assez forte pour contrebalancer les effets que l’augmentation de la production a entraînés en Europe et en Amérique.

Le resserrement du débouché que l’Inde offre à l’argent résulte de modifications dans la balance du commerce de ce pays et dans la nature et le mode de ses relations financières avec la métropole. Pendant la guerre de Sécession, c’est dans l’Inde que l’Europe trouva surtout le coton nécessaire à ses manufactures. Les achats de coton faits dans cette partie du monde eurent pour contrepartie des importations d’argent considérables, qui soutenaient les cours de ce métal en dépit de l’accroissement continu de la production. L’excédent des importations sur les exportations variait alors de d à 18 millions 1/2 sterling (250 à 460 millions de francs). Il n’est plus que de 6960000 livres sterling en 1866-1867, lorsque la fin de la guerre de Sécession rouvre les ports de l’Amérique aux acheteurs de coton. A partir de 1875-1876, c’est une autre cause qui réduit les importations d’argent dans l’Inde. Pendant la période de construction des chemins de fer indiens, le gouvernement métropolitain avait des remises importantes de capitaux à faire dans la colonie pour le payement de ’ la main-d’œuvre et des terrains. Ses tirages sur le gouvernement de l’Inde, pour le recouvrement des dettes de celui-ci envers le Royaume-Uni, étaient atténués d’autant. Les travaux terminés, les traites ont été tirées pour le montant total de la créance métropolitaine. Les moyens de remise en papier sont plus considérables qu’autrefois : la quantité d’argent envoyée dans llnde en est diminuée. Les tirages ont été, en 1888-1889, de 14 millions sterling : l’importation nette de 9 millions 2 . En résumé, la baisse de l’argent, dans les pays occidentaux, résulte d’un excès de production par rapport aux besoins de la consommation.

Il a été dit plus haut que les populations de l’Inde ont conservé une opinion favorable du métal blanc ; on s’explique cet opinion, quand on réfléchit à l’organisation très . V. Correspondance between the Britîsk and Indian Gov&rnments respecling tke silver question, 1886. — C. 4868, , n« 42.

. Voir te Bulletin de statistique du ministère des finances, janvier 1890, p, 105.

rudimentaire de la circulation métallique de ce pays. D’après M.R. Giffen, dans beaucoup de régions de l’Inde, le troc est la forme ordinaire des échanges ; ailleurs on se sert principalement de monnaie de cuivre ; l’argent ne circule avec abondance que dans les grandes villes *. On conçoit aisément qu’un peuple qui, dans son ensemble, n’a pas dépassé l’âge du cuivre, au point de vue monétaire, et qui même, en beaucoup de localités, n’a pas atteint cet âge, n’ait pas modifié ses appréciations au sujet de la valeur d’une monnaie dont quelques grands centres seulement font usage et considère encore comme exacte la relation entre l’argentetle cuivre que la tradition lui enseigne. C’est ainsi qu’en France même, au moyen âge, les décisions par lesquelles le pouvoir royal réglait la valeur de la livre tournois au gré de ses intérêts n’affectaient guère que les marchés où le Trésor lui-même avait à intervenir et n’exerçaient d’influence véritable sur les prix dans toute l’étendue du territoire qu’au bout d’un certain nombre d’années 2 . Mais si, dans l’Inde et aussi dans tout l’extrême Orient, l’argent n’a rien perdu de sa puissance d’achat, c’est uniquement pour les opérations du commerce intérieur. Les créanciers de l’Europe ou de l’Amérique, auxquels ce métal est offert pour le règlement de leurs importations, ne l’acceptent qu’au cours pratiqué sur les marchés occidentaux. La dépréciation de la circulation retentit sur le cours des changes (V. Change, §4, a). Des pertes considérables sont subies, en conséquence, par tous ceux qui ont des payements à faire à l’étranger, notamment par le gouvernement de l’Inde, qui n’envoie pas moins de 15 millions sterling y par an en Angleterre, pour payer l’intérêt des emprunts contractés dans la métropole, l’intérêt du capital garanti des chemins de fer, les dépôts et l’envoi des troupes anglaises, les pensions aux militaires ou fonctionnaires retraités. Les pertes de change ont dépassé parfois 3 millions et demi sterling (en 1886 notamment). L’équilibre budgétaire est sans cesse remis en question, les variations incessantes et a peu près impossibles à prévoir de la cote de l’argent modifiant à chaque instant le . Commission on gold and silver-, quest. n° 601. Cf. D r Soetbeer, op. cit., p. 40.

. Si la monnaie d’argent circule peu, l’argent comme métal est bien connu des Indous qui l’emploient en grande quantité à la confection de bijoux. Mais cette circonstance n’est pas nécessairement de nature à appeler leur attention snr la moindre puissance d’achat de ce métal. En France même, ne voit-on pas les orfèvres continuer de vendre l’argent au pair malgré sa dépréciation ? . V. le Bulletin d,e statistique du ministère des finances, janvier 1890, p. 112.