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pain ou quelques menues pièces de monnaie ; on les connaît, on sait quel est le degré de leur misère, et la main ne s’ouvre pour eux que si on les sait dignes d’intérêt. Cette mendicité-là est tolérable ; plus ou moins forte suivant les régions ou les villages ; plus étendue là où la misère est elle-même plus grande ; exceptionnelle au contraire dans les contrées où l’aisance est plus générale, où les services d’assistance sont mieux organisés, ou plus richement dotés. Mais ce qu’il faut atteindre, ce sont les vagabonds qui souffrent moins d’indigence que de paresse, dont la recherche d’ouvrage n’est que le prétexte, mais dont ia dégradation morale a tué les habitudes de travail ; ceux-là sont dangereux, et leur présence est un scandale pour un pays, une menace perpétuelle pour ses habitants ; ce sont aussi les mendiants nomades des grandes villes, dont l’identité et la position restent cachées au passant qu’ils importunent, et dont la manière d’être a tant d’analogie avec celle des vagabonds ; inconnus de ceux dont ils implorent la charité, ils exercent aisément leur métier, peuvent le continuer longtemps sans être inquiétés et en retirer des ressources abondantes ; ils deviennent experts dans l’art d’émouvoir et de provoquer la compassion. A ces mendiants, comme à ces vagabonds, il ne saurait être question pour les administrations ou les sociétés charitables de donner des secours d’une manière générale. Du travail ? peut-être ; mais encore n’est-ce pas de l’ouvrage que sollicitent ces individus. Une expérience concluante, tentée récemment par un philanthrope, est là pour apprendre quelle portion de vérité contiennent les plaintes des mendiante valides.

Cet homme de bien s’entendit avec quelques commerçants et industriels, lesquels s’engagèrent à donner du travail et à allouer un salaire quotidien de 4 fr. pendant trois jours à toute personne se présentant munie d’une lettre de lui ; en huit mois il eut à s’occuper de 727 mendiants valides, qui se plaignaient de n’avoir pas de travail ; plus de la moitié (415) ne vinrent pas prendre la lettre qui leur était promise et qui devait leur donner entrée ; d’autres, encore en très grand nombre (138), la prirent mais ne la présentèrent p as à son destinataire ; d ’ autres vinren t , travaillèrent pendant une demi-journée, réclamèrent 2 francs, et on les revit pas... Des 727, dix-huit seulement (soit 1 sur 40) étaient encore au travail au bout de la troisième journée. Ainsi, sur quarante hommes mendiant à Paris, arrêtant les passants dans la rue, se plaignant de mourir de faim, demandant avec larmes du travail, il y en avait un Ul — MENDICITE

qui avait le désir sincère d’en trouver et qui méritait intérêt ; et ceci ne doit pas être spécial à notre capitale, mais se rencontrer dans toutes les grandes villes.

Le procédé le plus efficace de supprimer la mendicité serait de la rendre improductive, c’est-à-dire refuser l’assistance, ou plutôt de ne donner le secours que d’une manière éclairée et de s’interdire systématiquement, entre autres, l’aumône pécuniaire aux mendiants sur la voie publique (V. Assistance). Mais le moyen de faire cesser les libéralités souvent inconsidérées de personnes charitables et faibles, pour lesquelles il est plus facile de donner que de savoir donner ? La loi est impuissante à cet égard, l’expérience le prouve ; on pourrait attendre davantage de grandes sociétés de bienfaisance, comme la Charity organisation Society, de Londres, si bien dirigée par M. Loch ; mais ce serait une erreur de penser qu’elles puissent extirper complètement d’un pays l’habitude de l’aumône irréfléchie et mal placée. La raison perd ses droits, lorsqu’elle doit lutter tout à la fois contre deux forces bien plus actives : la compassion et le désir d’échapper aux importunités ; d’autant plus que le sentiment charitable dérive du cœur plutôt que de la raison, et que ce qui en est la source en constitue aussi l’erreur et le danger. Ne pouvant atteindre la mendicité professionnelle dans son produit, il faut songer à l’atteindre dans le vice,qui en est l’explication. C’est donc la répression qui est le seul remède contre cette mendicité, avec quelque tempérament toutefois dans l’exercice de la poursuite ou dans l’application de la pénalité. A côté des paresseux incorrigibles, récidivistes de la mendicité et du vagabondage, il y a, en petit nombre, il est vrai, mais il y a quelques malheureux sans travail, quelques ouvriers honnêtes en quête d’ouvrage ; les punir serait horrible. Il appartiendra à la police judiciaire et à la magistrature de vérifier l’exactitude de leurs affirmations et de s’enquérir de leurs antécédents et de leurs habitudes. 11 appartiendra à des sociétés charitables, satellites des tribunaux, et associées pour ainsi dire à leur œuvre, de leur trouver une occupation. Mais pour les autres il ne peut y avoir d’hésitation : il faut leur appliquer une peine.

Laquelle ? Ici encore le problème est malaisé. L’emprisonnement est une mauvaise peine contre cette classe d’individus ; il s’impose sans doute pour les premières infractions ; mais la prison ne supprime pas leurs habitudes de mendicité et ne guérit pas leur paresse ; les alternances d’internement et de liberté n’ont rien qui leur puisse déplaire. Le