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MELON (Jean-François), né à Tulle {on ignore à quelle date), mort à Paris, le 24 janvier 1738. Il était d’une famille de robe et se destinait au barreau, en sorte qu’il s’établit d’abord à Bordeaux en qualité d’avocat. Mais s’étantlié avec des savants et des hommes de lettres, il changea de détermination et ne s’occupa plus que de littérature et de questions économiques. Il fonda en 1712 une petite académie, dont le duc de La Force, qu’il connaissait, se déclara protecteur, et où il remplit lui-même les fonctions de secrétaire perpétuel. Mais deux ou trois ans après, il fut appelé à Paris par ce même duc de La Force, qui faisait partie du conseil des finances institué après la mort de Louis XIV. Lorsque ce conseil cessa d’exister, Melon passa dans les bureaux du contrôleur général d’Argenson, qui le nomma plus tard inspecteur général des fermes à Bordeaux ; il quitta ce poste pour venir travailler à Paris sous les ordres de Dubois, ministre des affaires étrangères, puis il résigna ses fonctions nouvelles et devint le secrétaire de Law, jusqu’à la chute du système en 1720. Alors Melon passa en la même qualité au service du Régent et y demeura jusqu’à la mort de ce dernier, époque à laquelle il rentra dans la vie privée.

Il ne parait pas jusque-là que Melon ait rien écrit. Son premier ouvrage (en 1729) fut une histoire allégorique de la régence, qui offre peu d’intérêt, ce qui prouve ou que Fauteur n’avait pas su voir, ou qu’il n’avait pas voulu dire ce qu’il avait vu. Cinq ans après, en 1734, il publia son Essai politique sur le commerce, qui obtint du succès et qui a l’ait sa réputation.

Melon écrivait avant les pbysiocrates, qui ne commencèrent à briller que vingt ans plus tard, avant Adam Smith, qui était alors encore enfant. Il semble avoir été en France le premier théoricien du système mercantile, et aussi du système protecteur ; mais, comme l’a fait observer M. Eugène Daire, « si l’on veut bien lire avec attention son chapitre : De la liberté du commerce, on verra qu’il était loin d’entendre le régime prohibitif de la manière dont nous le pratiquons actuellement. A ses yeux, l’intérêt du consommateur passe toujours avant celui d’une classe quelconque de producteurs, et s’il ne repousse pas, en fait, l’existence de certains privilèges ou de certains monopies, c’est seulement parce que, trompé par une science incomplète, il suppose que ces institutions doivent tourner au profit de l’État... Melon serait devenu le disciple d’Adam Smith, si l’écrivain français n’eût été sur le point de terminer sa carrière quand le grand philosophe, encore enfant, ne se doutait guère de la gloire qu’il acquerrait un jour, » Melon a écrit un étrange chapitre sur l’esclavage, et il se demande si la substitution de l’esclavage à la domesticité ne serait pas une mesure à prendre dans l’intérêt du travail, des bonnes mœurs et de l’État. A ce sujet, M. Eugène Daire, que nous venons de citer, s’étonne que Voltaire, qui crut devoir à son titre de représentant de la littérature française de protester contre les négligences de style de Fauteur, ait laissé passer sans la plus légère observation un chapitre qui était une atteinte flagrante à la dignité humaine. Mais il n’est peut-être pas difficile de s’expliquer cette anomalie : Voltaire a dû plutôt parcourir que lire l’ouvrage de Melon, et ce chapitre lui aura échappé.

A part cette énormité, et toutes réserves faites à l’égard des conséquences des erreurs économiques qu’il professe, on peut dire que les vues de Melon, prises dans leur ensemble, furent celles d’un homme de bien. Il attaqua les abus avec fermeté et modération en même temps, il contribua beaucoup à fixer l’attention du public sur des matières peu discutées avant lui, et à y répandre de grandes lumières, même lorsqu’il n’avait pas la vérité complète pour lui. Son livre en provoqua d’autres, et notamment celui de Dutot (Réflexions sur le commerce et les finances), qui, par une réfutation très solide, le combattit victorieusement et fit avancer la science sur les questions de monnaie et de crédit public. J. G.

Bibliographie.

Essai politique sur le commerce. Rouen ou Bordeaux, 1734, in-12de273 pages.

Cette première édition était divisée en dix-huit chapitres. La deuxième édition, augmentée de neuf chapitres, parut en J736, in-12. Deux autres éditions ont été publiées postérieurement à la mort de Melon, en 1742 et 1761. Il y a eu aussi une réimpression à Amsterdam, en 1735, in-8°. Cet ouvrage a été reproduit dans le premier volume de la Collection des principaux Économistes, consacré aux économistes financiers du xviu" siècle, Paris, Guillaumin, 1843. L’éditeur, Eugène Daire, s’est conformé à l’édition de 1736, faite du vivant de l’auteur. Il y a ajouté des notes et une notice. — Les vingt-sept chapitres de l’édition de la Collection des principaux Économistes sont intitulés : Principes, — du blé, — de l’augmentation des habitants, — des colonies, — de l’esclavage, — des compagnies exclusives, — du gouvernement militaire, — de l’industrie, — du luxe, — de l’exportation et de l’importation, — delà liberté du commerce, — des valeurs numéraires, — de la proportion dans les monnaies, — de la sédition contre Philippe le Bel, — des monnaies de saint Louis et de Charles VU, — des diminutions, — de la cherté des denrées, — réponse aux objections, — diverses observations sur les monnaies, — du change, — de l’agio, — de la balance du commerce, — du crédit public, — de l’arithmétique politique, — des systèmes, — conclusion, — appendice au chapitre h. Il est intéressant de rapporter l’opinion de Voltaire : a Les principes du commerce sont à présent connus de tout le monde ; nous commençons à avoir de bons livres sur cette matière. L’Essai sur le commerce est l’ouvrage d’un