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confondus jusque-là : ils s’en séparent, luttent contre elle et finissent par la dominer. Il est impossible de comprendre leur politique si l’on ne connaît, au moins sommairement, l’organisation de la société florentine à cette époque. Cette organisation avait pour base le régime des corporations privilégiées dont l’existence fut générale en Europe pendant toute la durée du moyen âge. L’État florentin se réduisant à une seule ville, les classes chevaleresques et oisives y ayant été annihilées, la classe des cultivateurs n’y existant naturellement pas, il en résulta que les corporations constituèrent toute la ville, et que l’organisation du travail y devint l’organisation même de l’État. Machiavel a résumé en quelques mots l’histoire des corporations. « Lorsque Florence, dit-il, se divisa en corps de métiers, on donna à chacun un chef et une organisation, et on statua que les membres de chacun de ces corps seraient jugés par leurs chefs en matière civile. Ces corps furent d’abord au nombre de douze et s’accrurent ensuite jusqu’à celui de vingt et un ; Us devinrent si puissants qu’ils s’emparèrent en peu d’années du gouvernement de l’État. Comme dans les différentes espèces de métiers il y en a de plus ou moins honorables, on en forma de grande espèce et de petite... En classant les métiers, il y en eut plusieurs, de ceux qui sont exercés par le petit peuple, qui ne furent placés dans aucun corps ; alors, ils s’attachaient à ceux qui avaient le plus de rapport à leur profession. » Les vingt et un corps de métiers classés recevaient la qualification honorifique d’arts. Ils étaient étages hiérarchiquement du premier au vingt et unième, et divisés en douze arts majeurs, et neuf arts mineurs.

Quiconque ne faisait pas partie d’un art, comptait à peine au point de vue social, et au point de vue politique ne comptait absolument pas. Sauf pendant une courte période, où les arts mineurs furent leurs égaux, les arts majeurs avaient seuls qualité pour prendre part à la vie publique. Voici quels étaient ces douze arts majeurs : 1° juges et notaires ; 2° marchands de laine (en gros), autrement dit art de Calimala ; 3° changeurs ou banquiers ; 4° fabricants de laine ; 5° médecins, apothicaires, merciers ; 6° fabricants de soie ; 7° pelletiers et peaussiers ; 8° détaillants de drap, fripiers, marchands de coupons et rognures ; 9° bouchers ; 10° cordonniers ; dd° maçons et charpentiers ; 12° forgerons. Sauf en ce qui concerne les juges, notaires, et médecins, il semble bien que les arts aient été classés non pas d’après une règle rationnelle, mais d’après les profits qu’ils donnaient à cette époque et dans cette ville, II.

MÉDICIS (les)

et aussi d’après la quotité du capital nécessaire pour l’exercice de chacun d’eux. Les arts mineurs se composaient de métiers qu’il est à peu près impossible de rattacher à aucun des arts majeurs, tels que ceux d’aubergiste, cabaretier, marchand d’huile, de sel et de fromage, armurier, etc. Pour toutes les autres professions, elles étaient obligées de se subordonner à l’un des arts favorisés. Il semble que le but de cette organisation ait été de classer dans les corporations privilégiées les capitalistes, les distributeurs de travail, ceux qu’on nomme actuellement d’un barbarisme moderne les employeurs. Pour les employés, c’est-à-dire les patrons des petits métiers, tâcherons, les ouvriers proprement dits, ils étaient réduits à la condition de sujets des arts. « Il en résultait, dit Machiavel, que quand leurs ouvrages n’étaient pas payés à leur gré ou qu’ils essuyaient quelques mauvais traitements de leurs maîtres, ils étaient réduits à recourir aux magistrats du corps de métier auquel ils étaient rattachés et croyaient toujours ne pas en avoir obtenu justice. » Ils étaient privés de toute influence et de toute garantie de leurs intérêts. Or, cette catégorie d’individus était fort nombreuse ; dès l’an -1300, on ne comptait pas à Florence moins de soixante-douze corporations de petits métiers subordonnés aux arts. En dehors même de ces corporations se trouvaient les braccianti ou journaliers et les ciompi qui accomplissaient toutes les basses besognes dans l’industrie de la laine, la plus importante de toutes, celle qui, dit encore Machiavel, nourrissait la majeure partie du menu peuple. L’organisation des arts constituait donc un énorme privilège pour ceux qui avaient le bonheur d’en faire partie, En outre, les Florentins n’ont jamais connu la liberté du travail telle que les modernes la conçoivent.^ On reconnaissait, sans contestation, à l’État, le droit de le surveiller. Les statuts des corporations devaient être approuvés sous peine d’amende. Le droit de coalition était refusé aux ouvriers, accordé aux patrons faisant partie des arts. Ceux-ci avaient le privilège exclusif de se réunir et de s’unir pour fixer le maximum des salaires. Interdiction aux petits métiers de s’élever jamais à la dignité d’arts. Impossibilité de pénétrer dans un art sans un examen préalable et un vote favorable des consuls de cet art. Mesures restrictives de la liberté des ouvriers qui ne peuvent changer de patrons que sous certaines conditions étroitement déterminées, etc. Du fait de cette organisation, le peuple florentin était divisé en deux classes : les capitalistes, faisant partie des arts, et les prolétaires, de beau-