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civil, abroger les articles 421 et 422 du code pénal, l’article 86 du code de commerce et les dispositions de la législation antérieure qui étaient considérées comme toujours en vigueur. La loi de 1885 a fait table rase du passé ; elle a supprimé l’exception de jeu sauf pour le cas, bien caractérisé et ne permettant aucune espèce de doute, où les contractants se seraient formellement engagés à ne jamais opérer de livraison. Voici dans quelles circonstances cette loi a été rendue.

Au mois de janvier 1882, une débâcle des cours s’était produite à la Bourse de Paris (et par répercussion sur les autres marchés). Comme conséquence et, Ton peut bien le dire, en expiation d’une sorte de frénésie de spéculation dont les actions de la société Y Union générale avaient été le principal élément, nombre de débiteurs opposèrent l’exception de jeu à leurs créanciers ; l’opinion publique s’en émut. Les législateurs de 1885 procédèrent alors d’une tout autre manière que leurs devanciers. Les excès de spéculation dans le passé avaient produit des lois restrictives, ou du moins que l’on s’était proposé de rendre telles, portant châtiments et déclaration de nullité des opérations ; le krach de 1882 amena au contraire l’abrogation des articles 421 et422 du code pénal et la reconnaissance des dettes ayant pour cause des opérations à terme. C’est que l’on avait remarqué que toutes les mesures que l’on s’était proposé de rendre restrictives étaient demeurées vaines, qu’elles avaient toujours eu le défaut d’arriver trop tard ; que si elles avaient eu au moins le mérite de disposer pour l’avenir, leur sévérité même en faisait la faiblesse et que, sévères ou non, elles n’avaient jamais rien empêché ; que l’on n’aurait pas pu aller plus loin si les lois avaient autorisé la licence la plus absolue : les événements de 1882 le prouvaient une fois de plus. D’ailleurs il était profondément immoral que certaines personnes pussent impunément se refuser à payer leurs dettes après avoir trouvé devant elles des agents de change et banquiers obligés de payer les leurs sous peine de disparaître commercialement en perdant tout crédit a la Bourse et dans leur clientèle.

Un décret portant règlement d’administration publique a été promulgué le 8 octobre 1 890 .en exécution de l’article 90 du code de commerce et de la loi du 8 avril 1885 sur les ’ marchés à terme.

i La législation étrangère, en ce qui concerne les marchés à terme sur les principales Bourses de l’Europe, présente les dispositions qui suivent. En Allemagne, on ne prend généralement aucune mesure restrictive contre

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les marchés à terme, car il n’y a pas de texte sur la question, sauf en Saxe où l’exception de jeu est expressément admise. En Angleterre, la loi est muette ; rien ne défend donc aux tribunaux de prononcer la nullité des marchés à terme ; malgré cela, ils n’admettent presque jamais l’exception de jeu, parce qu’ils reconnaissent que les règlements du Stock Exchange ont le pouvoir d’obliger l’exécution des marchés. En Autriche, depuis la loi de 1875, l’exception de jeu n’est plus admise pour les opérations à terme faites, dans le local de la Bourse, aux heures réglementaires. En Belgique, on continue à appliquer aux marchés la jurisprudence suivie en France, avant la promulgation de la loi de 1885. En Italie, la loi de 1876 soumet les opérations de Bourse à une perception, et admet, en conséquence, une action en justice pour les marchés à terme. Seulement, la plupart des tribunaux, suivant les traditions de la jurisprudence de leur ressort avant l’unification du royaume, ne sont pas toujours d’accord avec la loi fiscale et reconnaissent l’exception de jeu. En Suisse, enfin, le code fédéral de 1881 reconnaît que les marchés à terme présentent tous les caractères du pari et du jeu.

. Conclu sien.

Il est incontestable que les marchés à terme prêtent aux abus ; malheureusement la question n’est pas seulement de les pouvoir efficacement réprimer, elle est avant tout de les découvrir. L’expérience a démontré qu’il était pour ainsi dire impossible de tracer la limite entre la spéculation moralement licite et le jeu et que réprimer l’usage à cause de l’abus c’était s’insurger contre une sorte de loi naturelle. Mais alors quels dangers ! « Une journée d’agiotage, écrivait d’Aguesseau dans son fameux Mémoire sur le commerce des actions, est souvent plus lucrative que des années entières de peine et d’application dans les travaux les plus pénibles des autres professions. Il n’en faut pas davantage pour porter une grande partie des hommes à renoncer à ces travaux. »

Tout cela est vrai, mais il ne l’est pas moins qu’une journée d’agiotage souvent vient enlever ce qu’il a fallu des années de peine et d’application pour acquérir dans les travaux pénibles des autres professions, comme aussi tout ce qui a pu être acquis par l’agiotage. En pratique, dans la grande majorité des cas, les marchés à terme ne sont guère profitables qu’à ceux qui les envisagent comme des marchés ordinaires devant, à l’expiration du terme, devenir des opérations au comptant. Quant à ceux. qui jouent à la Bourse pour se