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personnelles la théorie exposée dans cet ouvrage, il entreprit, en compagnie de trois autres membres du collège de Jésus, un voyage sur le continent ; il visita le Danemark, la Suède, une partie de la Russie et plus tard la Suisse et la Savoie. En 1803, il publiait la seconde édition, considérablement augmentée, de son Essai, Le retentissement de cet ouvrage et la protection de Pitt lui valurent d’être nommé, en 1805, professeur d’histoire et d’économie politique au collège d’Haylebury, qui venait d’être fondé à l’usage des aspirants au service civil de la Compagnie des Indes, Les cours étaient de deux années et les élèves au nombre de quarante environ. Les professeurs étaient pour la plupart dans les ordres et remplissaient, à tour de rôle, leur office à la chapelledu collège. Leurs fonctions leur laissaient des loisirs qu’ils pouvaient consacrer à d’autres travaux, tout en les affranchissant des soucis matériels de la vie. Malthus n’eut guère d’autres revenus que ceux qu’elles lui procurèrent pendant trente ans, de 1803 à 1834. Peu de temps avant sa nomination, il avait épousé HarrietEckerstal], à laquelle il était fiancé depuis plusieurs années. ïl eut trois enfants et non pas onze comme le croyait M. Gherbuliez, en racontant dans le Journal des Économistes (1850) que Malthus avait fait une visite à M. de Sismondi, à Genève, suivi de ses onze filles ! Deux de ses enfants, un fils, entré dans les ordres, et une fille, lui survécurent. Miss Harriet Martineau, qui alla passer quelques jours chez Malthus, en 1833, fait une aimable description de l’intérieur de l’illustre auteur de la théorie de la population, de sa vie paisible et studieuse. La réimpression de son Essai et la publication de ses autres ouvrages furent les seuls événements de son existence, tout entière vouée à la science et aux devoirs de ses fonctions de professeur et de ministre du culte. En 1819, il devenait membre de la Société royale de Londres, et en 1821 il contribuait à la fondation du club d’économie politique ; en d833, il était élu membre associé de notre Académie des sciences morales et politiques et membre de l’Académie royale de Berlin. Atteint d’une maladie de cœur, il mourut subitement, dans sa soixante-neuvième année, chez son beaupère, M. Eckerstall et fut enterré dans l’église de l’abbaye de Bath.

Le portrait de cet ennemi prétendu de la population, peint par Linnel (gravé par Fournier pour la Collection des principaux économistes ) montre un front développé, mais un peu étroit, une physionomie calme et douce ; Malthus était grand et de tournure élégante. Sa parole était claire, quoique sa prononciation fût légèrement défectueuse. Sydney Smitb disait à ce propos : Je consentirais volontiers à articuler aussi mal si je pouvais parler aussi bien. « Il était, dit Charles Comte 1 , d’un caractère si calme et si doux, il avait sur ses passions un si grand empire, il était si indulgent pour les autres, que des personnes qui ont vécu près de lui pendant près de cinquante années assurent qu’elles l’ont à peine vu troublé, jamais en colère, jamais exalté, jamais abattu ; aucun mot dur, aucune expression peu charitable ne s’échappèrent jamais de ses lèvres contre personne ; et quoiqu’il fût plus en butte aux injures et aux calomnies qu’aucun écrivain de son temps et peut-être d’aucun autre, on l’entendit rarement se plaindre de ce genre d’attaques, et jamais il n’usa de représailles. Il était très sensible à l’approbation des hommes éclairés et sages ; il mettait un grand prix à la considération publique ; mais les outrages le touchaient peu, tant il était convaincu de la vérité de ses principes et de la pureté de ses vues, tant il était préparé aux contradictions et même à la répugnance que ses doctrines devaient inspirer dans un certain monde. »

Les principaux ouvrages de Malthus sont V Essai sur le principe de population, les Principes d’économie politique et les Définitions. Le plus important de ces ouvrages, celui qui a valu à son auteur une réputation bruyante qu’il n’avait pas cherchée et une réprobation imméritée, V Essai sur le principe dépopulation, était à l’origine un pamphlet conservateur plutôt qu’une œuvre de science. Malthus s’était proposé de réfuter la thèse favorite des réformateurs du temps et, en particulier, de l’auteur de la Justice politique 7 William Godwin, qui attribuait aux vices du gouvernement tous les maux de la société. Dans l’opinion de l’auteur de l’Essai, ces vices n’exercent qu’une influence insignifiante sur la condition de l’espèce humaine. Ce sont, disait-il, « des causes légères et superficielles, semblables à des plumes qui flottent sur l’eau, en comparaison des sources bien plus profondes du mal qui découlent des lois de la nature et des passions des hommes ». C’était répondre à une exagération par une autre, et Malthus convenait lui-même plus tard « qu’ayant trouvé l’arc trop courbé d’un côté, il l’avait peut-être trop courbé dans un autre sens en vue de le redresser. »

Parmi les lois de la nature auxquelles il attribuait les maux dont William Godwin et les autres réformateurs rendaient les gou- [1]

  1. . Notice sur la vie et les travaux de Malthus, lue dans la séance publique de l’Académie des sciences morales et politiques, le 28 décembre 1836.