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LIVRETS D’OUVRIERS.

SOMMAIRE

. Les livrets obligatoires d’ouvriers ; leurs désavantages, leurs avantages.

. Historique de la législation des livrets. . Les livrets obligatoires d’ouvriers ; leurs désavantages, leurs avantages. On sait que l’abolition des jurandes et des maîtrises, faite au nom de la liberté du travail, ne fut jamais considérée comme un bienfait par l’ensemble de ceux auxquels elle donnait la liberté. Sous ce nouveau régime, les relations de maître à ouvrier ne furent plus réglées que par la loi ordinaire des contrats. Chacun put alors choisir la profession qui lui convenait le mieux, en changer à sa guise ; les entrepreneurs d’industrie ne furenb plus astreints à aucune formalité. Les maîtres et leurs ouvriers se lassèrent bientôt de cet état de choses. Peu accoutumés à l’usage de la liberté, soumis encore à l’influence des idées de l’ancien régime, ils poussèrent les uns et les autres à la réglementation qui signala le commencement de ce siècle. Les anciennes corporations liaient entre eux le maître et l’ouvrier dans chaque industrie, c’est-à-dire dans chaque métier. Comme il était impossible pour des causes nombreuses et, en particulier, pour des causes politiques, de rétablir ces corporations (voy. ce mot), on créa le livret, sorte de lien d’un genre nouveau entre l’ouvrier et le patron. Les règlements relatifs aux livrets avaient, en effet, pour but de rendre plus exacts les engagements de travail pris entre un maître et un ouvrier, et d’assurer le payement des avances. Le patron qui embauchait un ouvrier dont le livret ne portait pas le congé de son dernier maître était exposé à répondre envers celui-ci des engagements de l’ouvrier. De plus, lorsqu’une dette contractée par l’ouvrier à titre d’avances était inscrite sur le livret, elle équivalait à la saisie-arrêt d’un cinquième de ses salaires à venir jusqu’à extinction de la dette. En réalité, cette réglementation avait pour objet principal de mettre les patrons et les ouvriers sous la main de la police. Les prescriptions relatives aux livrets furent toujours éludées. Le livret acquitté par le maître précédent était ordinairement déposé entre les mains du patron chez lequel l’ouvrier venait travailler : il y restait sans visa jusqu’à la sortie, et passait sans visa chez un autre patron. Quant aux dettes par suite d’avances, elles devinrent peu à peu de plus en plus rares, car les ouvriers firent toujours disparaître leur livret lorsqu’elles s’y trouvaient inscrites.

Dans la pratique, les livrets donnèrent II.

LIVRETS D’OUVRIERS

lieu à des abus fort graves ; ils servirent, aux époques de coalitions et de troubles industriels, à noter certains ouvriers de telle façon qu’ils ne pussent plus trouver d’ouvrage nulle part. Cet abus, qui aggravait la législation déjà si sévère sur les livrets, a frappé le livret lui-même d’impopularité dans des corps d’état fort importants. Bientôt même patrons et ouvriers s’entendirent pour supprimer en beaucoup de circonstances les formalités gênantes des règlements.

^Cependant le livret était utile à beaucoup d’égards ; et, lorsque ouvriers et patrons vivaient en bonne intelligence, il prenait pour les uns et pour les autres une importance réelle. Il était pour l’ouvrier un témoignage de ses travaux, de ses voyages, de la durée des engagements qu’il avait remplis ; quelquefois même, dans les moments de chômage, son livret était un moyen de crédit. Au moyen du livret, le maître pouvait avoir sur l’ouvrier des renseignements certains et connaître sa conduite, son degré d’habileté, etc.

Il faut bien le dire, ce sont là les avantages plutôt théoriques du livret. L’usage du livret ainsi compris suppose qu’aucun antagonisme n’existe entre patrons et ouvriers, ce qui malheureusement est loin d’être toujours une réalité.

Quoi qu’il en soit, le livret ne remplit pas les intentions de ceux qui l’avaient institué. Les mœurs et la nature même des choses, plus fortes que les lois l’ont rendu inutile soit à la police, soit à l’exécution des engagements, soit au payement des dettes. Les dispositions relatives à la police le rendirent impopulaire dès le début, et les ouvriers ne cessèrent depuis lors d’en réclamer la suppression. En fait, depuis longtemps, le livret n’était plus en usage que dans certaines industries spéciales et, lorsque fut promulguée la loi (2 juillet 1890) qui le supprimait, sauf les exceptions que nous indiquons plus loin, il était complètement tombé en désuétude.

. Historique de la législation des livrets. Aux termes d’un arrêté de gouvernement du 2 décembre 1803, tout ouvrier employé en qualité de garçon ou compagnon devait être pourvu d’un livret coté et paraphé à chaque page, savoir : à Paris, Lyon et Marseille par un commissaire de police, et dans les autres villes, par le maire ou l’un de ses adjoints. Le premier feuillet devait porter le sceau de la municipalité et contenir le nom et le prénom de l’ouvrier, son âge et le lieu de sa naissance, son signalement, la dési-