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lorsqu’il s’agit au contraire de sa personne même, de sa santé, de son bonheur, l’homme redevient absolu malgré l’expérience des siècles ; il n’accepte pas sans murmurer les solutions relatives ; il demande au médecin, à l’homme politique, à celui qui étudie la science économique, des formules absolues non seulement dans leur expression scientifique, mais aussi dans leurs applications concrètes.

L’économie politique conclut, non pas que la liberté économique supprime toutes les souffrances de l’humanité ; elle démontre simplement qu’entre les deux systèmes types d’organisation des sociétés, l’organisation qui tend vers la liberté présente plus d’avantages que l’organisation qui repose sur l’autorité. Elle ne nie pas que, dans l’évolution historique, l’autorité n’ait eu un rôle nécessaire, elle constate que pour les peuples civilisés actuellement en possession des moyens de production modernes, la liberté est le meilieurmode d’appropriation des richesses, celui qui se rapproche le plus de la justice dans la répartition des produits du travail. La liberté économique, suivant qu’elle est considérée dans telle ou telle branche de l’activité de l’homme, a, ainsi que nous l’avons dit plus haut, des appellations différentes. Cela n’empêche pas que ces libertés ne soient toutes issues d’un même principe. Ainsi l’expression liberté du travail désigne plus particulièrement la faculté qu’a l’homme de se livrer au genre de travail qu’il désire, de changer de profession, de choisir enfin entre les diverses fonctions sociales suivant ses moyens et dans les limites tracées par la loi de l’offre et de la demande. Or pour user de ce droit, l’homme doit pouvoir contracter librement, d’où la nécessité du contrat de prestation de travail. Et comme tout se tient sous un régime de liberté, ce contrat de prestation de travail présente dans ses conséquences des preuves évidentes que les contrats en général doivent être aussi eux dégagés de toute réglementation.

Supposons que l’homme recueille librement les produits de son travail. Qu’il soit entrepreneur, capitaliste ou salarié, il ne peut pas employer ces produits en nature car il n’a concouru qu’à la production d’un certain nombre restreint de produits, insuffisants pour satisfaire tous ses besoins. Il faut donc nécessairement, ou qu’il échange librement, ou qu’il confie à l’État le produit de son travail, afin que l’État lui fournisse les différents objets dont il a besoin. Si l’on considère cette dernière hypothèse, on voit que l’État se trouve, dans ce cas, obligé d’être commerçant. Or le commerce est une des branches importantes du travail économique. Mettre le commerce dans les mains de l’Etat ou tout au moins le réglementer, c’est faire entrer l’industrie par voie de conséquence sous la dépendance de ce même État, et supprimer la liberté, dans le choix d’une profession et dans le contrat de prestation de travail. L’homme doit donc avoir la libre disposition des produits de son travail pour que la liberté du travail soit entière. Mais alors les échanges deviennent libres de même que les contrats qui les assurent et les consacrent. Cette solidarité qui lie entre eux les modes divers de la liberté économique n’est que le résultat de la solidarité qui unit la production et la consommation. Il est impossible de réglementer Tune sans réglementer l’autre, et pour que Tune d’elles soit libre, il faut qu’elles le soient toutes les deux. L’économie politique ne distingue pas de limites dans l’exercice de la liberté économique. Pour elle, le globe est un atelier et en même temps un marché où les divisions politiques peuvent indiquer des différences dans les mœurs, dans les besoins, dans les goûts, mais n’apportent pas avec elles des moyens différents de produire et de consommer. Cette diversité des mœurs et des besoins même, suffirait à expliquer la liberté des échanges, la liberté des contrats. Et ce sontles partisans de la réglementation et de la protection, ceux qui considèrent qu’il existe autant d’économies politiques que de nations, qui parlent de rédiger des règlements internationaux du travail ! Est-ce que cet aveu inconscient de la solidarité économique qui lie les nations ne prouve pas l’inanité des tentatiyes faites pour isoler ces mêmes nations ? Et s’il est un contrat qui doive être libre, n’est-ce pas précisément le contrat de prestation de travail dont les intéressés peuvent faire varier les clauses suivant les pays, les mœurs, l’état du marché ? . Conditions d’établissement de la liberté économique ; obstacles.

Une étude assez longue de l’économie politique est nécessaire pour comprendre les avantages de l’extension de plus en plus grande de la liberté économique. Cette idée de liberté économique n’est pas une idée simple qu’on puisse admettre à première vue. L’infinie variété des faits sociaux, les contradictions apparentes qui se produisent naturellement dans nos sociétés actuelles, jettent les esprits non préparés à ces phénomènes dans une incertitude facile à comprendre. Les sociétés subissent en ce moment une crise de transition entre le vieux régime d’autorité et le nouveau régime de liberté ;