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elle s’est confondue avec le libéralisme tout entier et a eu à subir la fortune de toutes les autres parties de la foi libérale. La campagne des nouvelles idées a d’ailleurs été implacable, elle s’est attaquée directement aux traditions les plus sacrées et les plus chères : comme l’aristocratie héréditaire, le militarisme, la politique romanesque, la gloire, la grande politique et la monarchie. Nous avons vu renverser les barrières qu’on avaient opposées à l’immigration et à l’émigration. Les monopoles ont péri comme si c’étaient les premières parties vouées à la mort d’un vieux système expirant. Les primes ont été presque entièrement abandonnées ; les corporations ont été dissoutes ; l’esprit militaire semblait reculer devant l’esprit commercial ; les changements qui menaçaient les classes sociales dans leur constitution et leurs rapports mutuels et dans le dépôt social qu’elles avaient conservé de la puissance politique, ont été peut-être plus profonds et plus importants encore.

Il était impossible, étant données les conditions naturelles des affaires humaines, qu’un semblable mouvement se produisît doucement, régulièrement, sans réaction ni crise. ïl a été semblable au mouvement d’un outil qui pénètre dans une matière résistante et en fait sortir des fragments tout à Fentour, mais qui accumule la résistance au fur et à mesure qu’il avance et finit par être dévié lui-même de sa direction primitive. Lorsque les institutions du mercantilisme ont été détruites, le libre -échange s’est trouvé de plus en plus distinctement, directement et violemment en lutte avec les droits d’importation établis pour prévenir les changements dans les modes existants de la production (industrie) qui s’imposaient par le progrès même du commerce et de l’industrie. C’est par cette raison que pour les masses, l’objet de l’économie politique a été surtout et même avant tout, la lutte du libre-échange contre la protection. L’instinct de Rodbertus ne l’avait pas trompé quand il combattait le libre-échange, quoique son analyse fût incorrecte et que sa définition du libre-échange ne portât pas, étant donné l’état de choses qui existait ou que Rodbertus croyait exister. C’est par cette même raison que la lutte du libre-échange et de la protection est devenue la clef de la révolution sociale qui nous menace.

Les changements survenus dans les classes industrielles, et l’enrichissement de nombreux groupes de population, ont donné naissance, au sein de l’ordre social actuel, à une classe ploutocratique qui va se trouver face à face avec la démocratie et qui devra lutter contre elle pour la domination du monde. Les droits protecteurs sont devenus la citadelle de la ploutocratie, effrayée pour ses intérêts par des changements trop soudains et trop radicaux. Et comme la forme immédiate de ce nouvel ordre de choses est la pression faite sur la vieille Europe par l’importation des produits agricoles, il en est résulté une coalition facile à comprendre entre la ploutocratie et les capitalistes bourgeois et les paysans.

Les classes qui sont intéressées dans l’organisation de l’État, rois, aristocrates, militaires, bureaucrates, ont serré les rangs pour faire un effort en faveur d’un nationalisme à outrance. Ils soutiennent que la nation n’a pas pour objet de rendre les citoyens heureux, mais que les citoyens existent uniquement pour être sacrifiés à la nation. Ce mouvement est fortement secondé par les jalousies, les suspicions, les haines héréditaires des populations européennes les unes contre les autres. Aussi, depuis trente ans, sommes-nous obligés de constater un temps d’arrêt, et jusqu’à un certain point un retour en arrière dans les tendances qui s’étaient fait jour pendant la première moitié du siècle. Nous souffrons d’une nouvelle Visitation de la « plaie de l’héroïsme ». On a inventé naturellement une philosophie pour expliquer la nécessité de ce mouvement, une sorte d’ontologie sociale, une théorie du bonheur humain universel, non pas enfermée dans les vieilles formules métaphysiques ou théologiques, mais fondée sur une éthique sociale qui n’a pas de base réelle, et qui est le produit d’une sorte de génie dialectique. Les États qui sont à la tête de la civilisation en Europe se sont rattachés aux droits protecteurs, comme à un dogme national. Ils ont ressuscité le nationalisme romantique ; ils se sont mis au travers du f perfectionnement des transports pour évi- ’ ter l’effet naturel qui aurait forcé l’organisation industrielle de faire des pas en avant. ; Ils en sont revenus aux primes à la navigation et à l’exportation. Ils ont essayé de rappeler à la vie les corporations, ont mis des entraves à l’immigration et à l’émigration ; ils ont considéré les étrangers comme suspects et ont restreint leurs droits. Ils ont traité les capitaux étrangers placés dans le pays avec une injustice qui prenait sa source dans des préjugés. Ils ont fait naître sciemment ou inconsciemment des monopoles. Ils en sont revenus pour la colonisation aux anciennes erreurs ; ils ont réhabilité la vieille formule que le bonheur de l’humanité dépend, pour une raison ou pour une autre, de la quantité des métaux précieux. Ils ont