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vains les plus autorisés du temps, le commerce intérieur n’était qu’un changement de mains et ne pouvait produire aucun gain. La doctrine enseignait donc que seul le commerce étranger pouvait donner un excédent. Il en résulte que les apôtres du système n’avaient aucun moyen d’éviter ce dilemme : par l’acquisition des colonies, ou bien on s’assurait deux avantages ou bien on en perdait deux. Quand on fait la critique du système colonial au point de vue des colonies, su expose le mercantilisme et le protectionnisme à la plus pitoyable dissection. C’est toutefois l’Irlande qui a été la pierre d’achoppement du mercantilisme. L’Irlande n’était ni une colonie, ni un État étranger, ni un comté anglais et elle était au delà de la mer. L’effet que l’interposition de l’eau entre deux territoires politiques a eue sur les idées que se sont faites les hommes des relations commerciales, est un des faits étonnants de cette histoire. L’Irlande au XIV e siècle exportait de la toile et des lainages à Dantzig {Kirsch, le Libel de la politique anglaise). Au commencement du xvm e siècle, les hommes d’État et les économistes en étaient à discuter sur le point de savoir laquelle de ces deux industries ils devraient lui donner sans vouloir bien lui en donner ni l’une ni l’autre.

Ce qu’a produit de plus important le mercantilisme, c’est l’Économie -politique de sir James Stewart, car les autres écrivains n’ont fourni que des œuvres, sans importance, fragmentaires et souvent incohérentes. Sir James Stewart a sondé les profondeurs de la philosophie mercantile et en a fait un système achevé. Son Traité est une sorte de manuelpour les hommes d’État, qui rappelle ceux qu’on écrit aujourd’hui pour les joueurs de whist. On y apprend les expédients par lesquels on peut se tirer d’affaire dans des conjonctures spéciales. L’auteur suppose d’abord un pays où règne la simplicité et qui contient une population considérable d’ouvriers distingués par leur industrie et leur frugalité. Sa véritable politique doit être de produire les articles du luxe le plus riche pour ne les consommer jamais à l’intérieur, parce que le luxe est corrupteur, mais pour les exporter en totalité. Si ce peuple réussit à pratiquer une semblable politique, sa richesse ira en croissant par une balance favorable, sa moralité deviendra toujours plus pure et il se nourrira de la substance - de ses rivaux. Mais il court un danger toujours imminent, c’est que la population nationale ne se corrompe par l’usage des objets de luxe qu’elle produit. Si le cas se réalise, le commerce extérieur diminuera. Les hommes d’État s’en apercevront, et quand le luxe intérieur se sera développé, ils devront arrêter tout commerce, car la continuation du commerce ferait pencher le pays du côté où Ton perd. Il faut alors organiser la nation en la divisant en deux classes, les riches et les pauvres ; les premiers consommeront les objets de luxe et les autres les produiront. Cela durera jusqu’à ce que tout le monde soit devenu pauvre. Dès lors, on sera de nouveau en état de reprendre les affaires, les étrangers s’étant pendant ce temps-là enrichis et se trouvant, comme avant, en situation d^cheter ; et la succession des choses se poursuivra ainsi. Sir James propose de construire des maisons pour les ambassadeurs étrangers et de les meubler des objets les plus luxueux delà production nationale. C’est un moyen de donner aux étrangers le goût du luxe, qu’ils introduiront ensuite dans leur pays, mais il ne veut pas que les ambassadeurs de son pays soient exposés à l’étranger à une semblable corruption. Les ambassadeurs de sa nation devront se meubler d’objets nationaux et les vendre avant de rentrer dans leur patrie. Quand Stewart a essayé de répondre à Hume, il a méprisé tous « les principes généraux ». Les autres écrivains du xvm e siècle qui voulaient proscrire les principes généraux étaient Galiani, Necker, Carli et Caraccioli.

L’erreur la plus grave du système mercantile a été de concevoir l’État comme un corps solide par l’unité duquel, comme à travers un organe, l’accroissement de la richesse se faisait et passait. L’homme devient alors une fonction de l’Etat. Il n’y a pas d’erreur plus grossière en philosophie sociale. La moindre erreur des partisans du système mercantile était de n’avoir aucune doctrine sur le capital, et de ne pas distinguer le rôle économique de l’échange de celui de la production. Ils supposaient que l’acte d’échange pouvait être divisé en deux moitiés indépendantes. Ils exagéraient le pouvoir effectif et réel d’accroissement de la richesse par le commerce et concevaient les métaux précieux comme constituant éminemment la richesse. Le sophisme qui était à la racine et au fond de leur système comme corps de maximes suivies, était une idée du commerce empruntée aux siècles précédents : « Dans l’échange, le gain de l’un fait la perte de l’autre », d’où on induit que le commerce fait toujours, ou peut faire du mal à une des deux parties entre lesquelles il s’engage. Delà, leur préoccupation constante de déterminer le critérium du commerce avantageux, de reconnaître quel est le commerce qui produit une perte et