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derne. Il n’est pas explicitement affirmé par ces autorités du moyen âge que les hommes doivent simplement partager entre eux leur superflu par un sentiment d’amour fraternel, à moins qu’on ne se trouve en présence d’un individu sans ressources ; mais c’est là, selon eux, la règle de conduite la plus digne d’être approuvée, qu’il s’agisse d’échange ou de prêt. La vente d’un produit de son propre travail est regardée comme chose très différente de la vente d’une marchandise par un intermédiaire qui la simplement achetée pour la revendre. L’opinion populaire du temps correspondait absolument à ces doctrines. Le commerce était suspect. Il était classé, comme l’usure, parmi les extorsions et était laissé aux juifs et aux étrangers qu’on détestait parce qu’ils s’y livraient. Le sentiment populaire trouvait son expression dans le proverbe : Quotmercatores, tôt traditores. Le mouvement social au commencement du moyen âge était très déprimé, et la vitalité sociale très restreinte. Un manoir était presque un tout indépendant. Il y avait très peu de commerce : c’est à peine s’il existait des marchés. Quand les premiers mouvements du commerce et des transports se sont produits, les seigneurs des manoirs ont prélevé des taxes d’exportation et ont décrété des prohibitions dans une idée de précaution pour empêcher que le manoir ne fût privé de ressources. Leur principal souci était de prendre toujours des mesures préventives contre la famine et la guerre. La règle du commerce à ce point de départ peut être appelée la politique de l’approvisionnement (Pigeonneau, Colmeiro).

Les seigneurs commencèrent aussi à lever des droits sur les mouvements du commerce et sur les transports, sous prétexte de maintenir Tordre sur les rivières et sur les routes, mais en réalité par une pure exaction seigneuriale. Ils percevaient ces droits avec la plus grande impartialité à l’importation et à l’exportation, s’il est permis de distinguer par ces expressions le mouvement dans les deux sens (Mantellier). Quand les rois ont établi des taxes fiscales, ils ont vraisemblablement taxé les transports comme transports, et sont restés absolument indifférents au sens dans lesquels ils s’effectuaient (Colmeiro). Il est impossible de classer tous les modes différents d’intervention infligés au commerce à certains moments dans un endroit ou dans un autre, en les distinguant par les motifs qui les ont déterminés, à cause du caprice et de la variabilité des raisons de ces interventions. Les rois d’Angleterre ont fréquemment usé de la réglementation du commerce pour exercer une pression et une action politiques (Varenberg, Schanz). Il y avait au xv e siècle des règlements innombrables fondés sur la jalousie contre les étrangers ou tout au moins sur la volonté de les exploiter dans les marchés intérieurs. Charlemagne demande pour son fils la fille du roi Offa de Mercie comme femme. Offa refuse, à moins que son fils n’obtienne en échange la fille de Charlemagne. Le grand roi s’en offense et il ferme les portes du nord de la France aux Anglais (Pertz, Monum. Germ. Hist. ; Scriptores, dele. II, 29 J). L’exportation des belles étoffes de soie de Gonstantinople était soumise aux restrictions les plus étroites, parce qu’on jugeait que seuls les Grecs étaient assez nobles pour les porter (Heyd).

Il est impossible de dire où et quand le système restrictif a commencé. Les Vénitiens avaient des actes de navigation dès le xm e siècle (Thomas) ; les Catalans à partir de la même époque (Capraany) ; les Castillans depuis la fin du xiv e siècle (Colmeiro). Les lois de ce genre découlaient de la véritable essence du système de la hanse (Sartorius, Worms). D’autres formes du même système se sont produites dans l’Allemagne du sud et dans l’Autriche de très bonne heure, au moyen âge (Falke).

Les lois des Vénitiens n’ont pas employé les droits à l’importation ou à l’exportation comme un moyen de réaliser une politique commerciale, si ce n’est dans des limites très étroites. Les droits d’importation et d’exportation étaient établis impartialement à un taux très bas. Venise était l’entrepôt naturel du commerce entre l’Orient et l’Occident. Sur cette base la législation de Venise a édifié en quelque sorte un magasin pour être exploité coopérativement conformément à des règles de discipline intérieure. Les membres de l’État étaient obligés de se conformer à un mode d’action strictement déterminé, dans les conditions jugées avantageuses par l’État pris dans son ensemble. La force ainsi organisée était employée d’une façon agressive contre toutes les nations plus faibles chez lesquelles les Vénitiens établissaient des ports de commerce et contre tous leurs rivaux (Simonsfeld, Thomas, Tentori, Daru). Le système de la hanse (V. Ligue Hanséatique) s’était développé dans beaucoup de détails particuliers parallèlement au système vénitien, sans lui avoir, autant que je puis le savoir, rien emprunté. La mer était infestée de pirates et les marchands paraissent s’être aisément laissé aller à la piraterie les uns contre les autres, tout naturellement sous le facile prétexte de représailles (Mas-Latrie, Piot),