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peut sans doute s’appliquer justement à un système politique consistant dans l’adoption d’une organisation du commerce jouissant de la plus grande somme de liberté compatible avec les nécessités fiscales de chaque pays, et indépendamment du système économique adopté par les autres nations, dans la contîance qu’avec le temps les autres suivront l’exemple après en avoir reconnu la sagesse. On peut y attacher le nom de Gobden, quoique cette doctrine ait été professée explicitement par Le Trosne, Mercier, Gondorcet, et dans l’écrit attribué à Decker. Cette doctrine économique est quelque chose comme le pendant de la doctrine morale qui enseigne que « l’honnêteté est la meilleure politique ». C’est dans cet ordre d’idées le plus haut sommet de la vérité qui ait jamais été atteint et en conséquence, pour ceux qui sont à un niveau plus bas ou bien qui ne sont encore qu’à demihauteur, il est difficile de juger si c’est la plus grande vérité ou leplus grand mensonge que l’on puisse produire. La doctrine corrélative est celle qui affirme que toute représaille, qu’il s’agisse de guerre de soldats ou de guerre de tarifs, est condamnée à s’engager de plus en plus dans la lutte, sans atteindre son objet, exaspérant les passions, bannissant la raison et ne faisant que multiplier les pertes de l’un comme de l’autre côté. Gomme nous le verrons plus loin, le problème le plus obscur de l’histoire du commerce est de savoir si le commerce a été un agent de paix ou de guerre. Le cobdenisme est la philosophie du commerce, mais du commerce débarrassé des traditions et des dogmes du militarisme, du commerce devenu le dispensateur de la paix et le facteur d’une pure civilisation industrielle. Les faittraders sont ceux qui, après quarante ans d’expérience du cobdenisme, sont fatigués d’attendre la réalisation des saintes espérances offertes à leur foi par le cobdenisme et qui désirent revenir à la politique des représailles et de la force.

Les agitateurs de la Ligue contre les lois des céréales (V.BASTUTet Cobden), comme d’autres enthousiastes, attendaient trop de leur chère réforme. Ils attendaient trop de la nature humaine et ne comptaîentpas assez avec les intérêts et la force des traditions politiques. Ils ont trop cru à la possibilité d’une action spontanée et intelligente de la part d’une grande masse d’hommes. Comme tous les enthousiastes, ils ont cru que le monde répondrait tout de suite et sans hésiter à l’appel de la vérité et du bon sens. Ils n’ont pas suffisamment fait entrer l’élément de temps en ligne de compte. Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, il se soit produit contre eux une réaction, mais jusqu’à présent cette réaction n’a pas réussi à définir sa plate-forme ou son programme. Elle s’est répandue en colère et en mépris contre les nobles mais fallacieux espoirs des agitateurs de la Ligue contre les lois des céréales.

Telles sont les différentes phases de la protection et du protectionnisme.

Par libre-échange, nous entendons tout ce qui y est opposé et par libre-échangistes tous ceux qui sont prêts à combattre les protectionnistes et le protectionnisme à tous les degrés, dans tous les modes et sous toutes les formes.

La proposition que nous entendons soutenir est celle-ci. Tout le protectionisme du xix e siècle n’est que le résidu antique et déshonoré d’un sophisme d’économie politique. C’est la plus certaine et la plus grande conquête de la science économique, d’avoir réussi à mettre fin à un pareil sophisme, et la loyauté envers la science exige de nous que nous soutenions et que nous mettions de plus en plus en avant la doctrine du libre échange jusqu’à ce qu’elle ait été universellement acceptée et appliquée.

C’est pour soutenir cette thèse que nous tracerons un sommaire de l’histoire des doctrines modernes du commerce.

. Doctrine du commerce au moyen âge. Il faut prendre la loi canon comme point de départ de la doctrine moderne du commerce. Dans la collection du droit canon, on a réuni d’anciennes prescriptions sans rien créer de nouveau, mais en les arrangeant dans un nouvel ordre et en leur donnant une autorité qui leur a assuré sur l’esprit des hommes, pendant des siècles, une force de domination que rien n’a pu briser. Les côtés économiques et les côtés moraux du commerce ont fait un seul corps et le commerce a été confondu avec l’usure. La loi canon a combiné deux courants de tradition, celui de l’antiquité classique et celui des pères de l’Église. Le premier a fourni les éléments dérivés du point de vue militaire, de mépris du travail et du gain pécuniaire ; et le second a fourni l’élément moral avec l’autorité de textes sacrés mal interprétés, renforcés par les paroles des pères révérés de FÉglise. L’enchevêtrement de l’économie du commerce avec la morale du commerce et avec l’usure s’est continué par l’action de S* Thomas d’Aquin et de Scotus, et cet enchevêtrement a été fatal à la rectitude du jugement du premier, quoiqu’on puisse trouver dans l’œuvre de ces deux grands chefs d’école des sentences qui suffiraient pour fonder toute la doctrine mo-