Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée

jusqu’à la chute du second empire. Il revint à Paris en 1870 et y mourut le 20 avril 1871. Pierre Leroux, dont la culture première fut toujours insuffisante, bien qu’il eût quelques qualités naturelles de forme et une remarquable facilité pour s’approprier les idées d’autmi, qu’il croyait siennes après les avoir absorbées à son insu, procède directement de J.-L Rousseau (voy. ce nom). Ce fut son premier maître et son modèle. Il ne le discute pas, il l’affirme , le proclame législateur du droit moderne. « L’humanité avait perdu ses titres, Montesquieu les a retrouvés », avait dit Voltaire. Selon Pierre Leroux, cest Rousseau qui méritait cet éloge. Dans son Essai sur légalité, Pierre Leroux ne prétend qu’à recommencer « avec le secours de la critique et de la science modernes, dit-il, le Discours sur l’inégalité des conditions. » Il lui reproche seulement de placer l’idéal humain « dans la forêt primitive ». Pour Pierre Leroux, le passé, c’est le mal : le paradis est devant nous et non derrière. Saint-Simon Pavait écrit avant lui. Mais, comme Saint-Simon, comme Fourier, comme tous les socialistes ses contemporains, à la seule exception de Proudtion (voy. ce nom), il croyait à la possibilité dun état de bonheur parfait sur la terre pour l’humanité. G’était une conséquence de son déisme.

Du moment qu’un Dieu « triple et un, être des êtres, impersonnel et cependant distinct des êtres, esprit d’amour et lumière universelle, force, amour et intelligence ; totalité, cause et existence », a fait le monde, son œuvre doit être parfaite. On ne peut y concevoir ni la souffrance ni le mal. Si l’homme est malheureux dans un tel monde, c’est par sa faute. Pierre Leroux devait donc nier toutes les fatalités attachées à l’existence en général et à la vie humaine en particulier. Comme Rousseau, comme Fourier, il devait prétendre que l’homme est né bon, que c’est l’état social qui l’a rendu mauvais, et que la réforme de la société réformera l’homme en le ramenant à l’égalité primitive. « Dieu nous aurait-il donc inspiré une idée dont la pratique serait chimérique ? se demande-t-il. Impossible. En ce cas, Dieu ne serait pas le créateur éternel, le vivificateur, le tout-puissant, le tout-aimant, dont l’image est dans notre cœur ! « Cette extension de l’argument de saint Anselme montre quels étaient les procédés logiques de Pierre Leroux. Il ne veut pas seulement, comme Montesquieu, Voltaire et tous les encyclopédistes, l’égalité des droits, l’égalité civile et civique devant la loi, l’égalité du point de départ, mais l’égalité du point d’arrivée, celle des conditions sociales et celles des fonctions, dont, comme Fourier et Saint-Simon, il affirme l’équivalence. Cette égalité absolue est selon lui la seule base possible de la société moderne et le dogme fondamental de la religion à venir.

« La Révolution, dit-il, a résumé la politique en trois mots : liberté, égalité, fraternité. .. L’égalité est un principe.. .un dogme... c’est le critérium de la justice... La société n’a pas d’autre base... Le mal social actuel vient de la lutte de ce principe et de son contraire. .. Il a fallu arriver là pour trouver un fondement au droit politique... D’Aristote à Montesquieu, tous les écrivains politiques n’ont su qu’ériger le fait en droit. L’antiquité n’a pas connu l’égalité... Jésus a été le destructeur des castes... Le christianisme a étendu la cité à l’humanité... et l’eucharistie, équivalent des repas publics de Lycurgue, est le repas égalitaire par excellence. » Comme tous les socialistes de son temps, Pierre Leroux n’était donc nullement hostile au christianisme ; comme eux, il prétendait,^ au contraire, le ramener à sa forme primitive, aux préceptes de l’Évangile. Il eût dit volontiers, comme Jésus : « Je ne viens pas abolir la loi, mais l’accomplir. » De même que le protestant Rousseau a toujours gardé l’empreinte biblique, Pierre Leroux, comme Saint-Simon et Auguste Comte, a conservé J ’empreinte, plus sacerdotale, du milieu catholique dont il est sorti. Avant tout prêtre et pontife, sans méthode critique dans ses jugements ou ses citations historiques, Pierre Leroux ne démontrait rien. Il ne pouvait que vaticiner, décréter en morale des dogmes, des préceptes et des interdictions, fondées sur des a priori de sentiment ; son esprit restait imbu des plus vieux préjugés.

En philosophie comme en sociologie, il a construit, de pièces hétérogènes, un système fondé sur des analogies verbales, sur des mots creux, mal définis, symétriquement disposés trois par trois, ou par triades, rappelant les procédés de la théologie catholique, et du néoplatonisme alexandrin, écho des écoles bouddhistes etbrahmanistes de l’Inde : c’est pourquoi Pierre Leroux semble un Oriental égaré en Occident.

En psychologie, c’est à l’éclectisme qu’il a pris la triade « sensation, sentiment, connaissance », énumération bien incomplète des activités de la conscience, puisqu’elle laisse en dehors la volonté et ne peut expliquer l’action.

Incapable de concevoir l’idée de la liberté individuelle, Pierre Leroux ne pouvait avoir qu’une notion confuse du droit et devait