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nommé contrôleur. D’ailleurs, la taxe n’est pas assise sur les personnes, mais sur les immeubles directement : elle saisit le bien réel seulement par ses signes extérieurs, susceptibles d’être constatés à ciel ouvert. L’impôt des portes et fenêtres ne permet de recenser les ouvertures que du dehors, quand elles donnent sur les rues, cours et jardins ; jamais il n’est nécessaire, ni permis aux employés de pénétrer à l’intérieur des habitations. Les loyers, pour la contribution mobilière, sont estimés d’après les baux enregistrés et les valeurs locatives courantes. Les patentes s’établissent au vu des éléments les plus aisément appréciables de chaque commerce et de chaque industrie. En aucun cas, le négociant ne communique ses livres, ni ne divulgue le chiffre de ses affaires ou de ses bénéfices.

Les droits sur les boissons sont acquittés par les marchands en gros et en détail, classe nombreuse, sans doute, mais beaucoup moins nombreuse encore que celle des consommateurs ; ceux-ci, par exception seulement, connaissent les employés de la régie. Il en est de même à l’égard des taxes sur les cafés, cacaos, vinaigres, bougies, matières d’or et d’argent, etc., que les fabricants ou importateurs payent eux-mêmes préalablement ; de même pour les actes et contrats soumis à l’enregistrement, que les notaires, huissiers, avoués, greffiers se chargent, la plupart du temps, de soumettre à la formalité, sauf, bien entendu, à en réclamer plus tard aux parties le remboursement intégral, avec leurs honoraires. Les Compagnies de chemins de fer et les entreprises de voitures publiques recouvrent encore personnellement sur les voyageurs rimpôt qui frappe les transports. Les banquiers retiennent, à leurs propres guichets, l’impôt des valeurs mobilières. En un mot, partout, autant qu’il le peut, le fisc masque sa main.

Existe-t-il des exceptions ? C’est à leur sujet que surgissent précisément les plus graves difficultés de perception. L’octroi, par exemple, qui ne craint pas d’arrêter tous les voyageurs aux portes des villes, se voit exposé aux incessantes déclamations des réformateurs. L’exercice, que 400,000 débitants de boissons peuvent maudire en chœur, passe pour la plus impopulaire des formalités. La légion de deux millions et plus de récoltants de vins et de cidres existants en France, a pu, depuis 1806, par la seule raison de son grand nombre, conquérir la franchise de sa consommation à domicile. Les bouilleurs de cru qui, dans les années d’abondance, composent une notable nartie de la population rurale, sont parvenus, pour le même motif, à s’affranchir de l’exercice. En 1841, comme nous le disons plus loin, aussitôt que, sous prétexte de recensement, les contrôleurs voulurent franchir le seuil du domicile des particuliers, de graves émeutes les repoussèrent. Aussi, aujourd’hui un des plus puissants arguments invoqués contre la création d’un impôt sur le revenu réside-t-il dans la crainte d’une inquisition universelle ; et les pays où cette sorte de taxe fonctionne ont-ils eu soin, pour rassurer les esprits, de confier la confection des rôles, non pas aux agents du pouvoir central, mais à des délégués de comités locaux. En somme, le besoin d’argent seul pousse certains États à braver les difficultés que ne manquent jamais de créer les contacts trop directs entre les représentants du fisc et le public. La Belgique sait bien que le système de l’exercice, dans les fabriques desucre et d’alcool, lui procurerait beaucoup plus de revenus que son procédé actuel de prise en charge par évaluation. Cependant, tant qu’elle le pourra, elle répudiera les formalités de l’exercice. De même, en Angleterre, la vue des employés, sauf à la frontière et dans quelques grandes fabriques de spiritueux, se trouve à peu près complètement épargnée au public. « L’Anglais, dit John Stuart Mill, hait moins ce qu’il coûte à payer que l’acte même de payer. Il n’aime pas à voir la figure du percepteur et à être exposé à une demande formelle de sa part. » (Principes d’économie politique.)

Si la France, à force de sagesse et d’économie, pouvait un jour se passer d’une partie des 400 millions que procure l’impôt sur les boissons, nul n’hésiterait à supprimer les formalités à la circulation et à l’exercice chez les marchands en gros et les débitants.

. L’impôt doit être multiple. — Théorie de l’impôt unique en désaccord avec les progrès mêmes de la civilisation.

La seconde maxime, puisée à la mêmesource de l’expérience, enseigne que l’impôt doit être, non pas unique 1 , mais multiple. i. Quelques pubticistes, Emile de Girardin notamment, apôtres de l’idée de l’impôt unique, se sont attachés à faire briller aux yeux du public le côté séduisant du mot unité, pris dans son sens général : « Unité ! unité !, s’écrie-t-il, c’est le but vers lequel marchent tous les peuples, beaucoup à leur insu ! Partout où l’imprimerie a facilité l’échange des idées, partout où la Tapeur a rapproché les hommes, l’unité qui mesure et marque les heures au même cadran, à Londres et à Constantinople, à Rome et à Moscou, à Vienne et à New-York, à Paris et à Canton, ne s’arrêtera dans sa course triomphale qu’après avoir assujetti tout à sa loi et réformé la barbarie des impôts ». [Questions de mon temps ; questionsfinancières, par Emile de Girardin, 1858 ) IL nous a semblé-