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tectionnistes firent valoir que l’intendant était une créature de M me de Pompadour et Ohoisenl le sacrifia sans lui donner ni pension, ni indemnité.

Le marquis de Fénelon, gouverneur de la Martinique, qui avait été le témoin des efforts de l’intendant, s’était prononcé pour lui et avait fait répandre partout son mémoire en défense. Il écrivit à Choiseul : « On voulait nous désunir dès le principe, c’est la politique et la marche ordinaire dans les colonies ; mais M. de la Rivière emporte l’estime et les regrets des honnêtes gens ; je me crois permis de penser comme eux et d’avoir le courage de le dire ». Le gouverneur fut aussitôt rappelé et disgracié.

La Rivière consacra ses loisirs forcés à l’économie politique ; en arrivant en France, il avait trouvé Quesnay et le marquis de Mirabeau, avec qui il était depuis longtemps en relations, occupés à préparer une campagne vigoureuse contre l’école réglementaire. Il s’associa à eux et fut l’un des principaux rédacteurs du Journal de l’agriculture, du commerce et des finances que dirigeait du Pont de Nemours. Ses articles sont signés G. Écrivain facile, et ingénieux, quoique trop souvent déclamatoire, il était, avec Quesnay, celui de tous les physiocrates qui se préoccupait le plus de trouver la liaison entre le droit naturel et l’économie politique. C’est dans cet ordre d’idées qu’après la suppression du Journal de Vagriculture, il publia (en 1767J son Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, qui eut un succès énorme ; trois mille exemplaires en furent vendus dans l’espace de quelques mois et de vives controverses s’élevèrent à son sujet parmi les philosophes. Grimm et l’abbé Raynal trouvaient l’ouvrage détestable ; Diderot, le baron d’Holbach, Condillac et d’autres le défendaient au contraire avec chaleur. La discorde en arriva au point que, dans certains cercles philosophiques, on dut convenir de ne plus discuter sur Tordre naturel et essentiel. Les livres et les articles pour et contre se succédaient sans interruption. L’abbé Yvon et Forbonnais, représentants des protectionnistes, attaquèrent le livre dans la Gazette du commerce ; Mably en fit ailleurs une vive critique et essaya de prouver contre La Rivière que la propriété foncière est injuste. Les Ëphémérides du citoyen répondirent à Mably. Enfin, au plus fort de ces querelles, Diderot conseilla à du Pont de Nemours de faire du livre de La Rivière un résumé qui pût être plus facilement lu et compris que l’ouvrage. Ce résumé porte le titre d’Origine et progrès d’une science nouvelle. C’était bien une science nouvelle que créaient les Physiocrates (voy. ce mot). La Rivière en avait exposé intelligemment plusieurs principes, mais il avait insisté sur les deux parties les plus contestables des théories de l’école, la partie politique et la partie fiscale. Royaliste dévoué, il estimait que la monarchie absolue était une forme de gouvernement, plus capable de produire le bien que les républiques vantées par Rousseau ou que la monarchie constitutionnelle préconisée par Montesquieu. Le but principal à poursuivre en matière de législation lui semblait être d’assurer le respect de la liberté et delà propriété individuelles. Or rien ne prouvait, d’après lui, que les élus du peuple dussent être plus soucieux d’accomplir ce devoir qu’un prince héréditaire, naturellement intéressé à la tranquillité publique et au développement de la richesse. La Rivière ne voulait comme contrôle du pouvoir royal qu’un pouvoir judiciaire chargé, à l’instar des parlements, d’administrer la justice et de vérifier la concordance des ordres du souverain avec les lois naturelles ; mais il limitait au strict nécessaire, c’est-à-dire au maintien de la sécurité, les attributions du prince et ne donnait à celui-ci pour revenus qu’une part dans le produit net de la terre au moyen d’un impôt direct et unique.

Voltaire écrivit spécialement contre cette thèse V Homme aux quarante ècus, dans lequel il se moqua des gens qui, « se trouvant de loisir, gouvernent l’État au coin de leur feu et décrètent que la puissance législatrice et exécutrice, étant née de droit divin copropriétaire de la terre, a droit à la moitié de ce qu’on mange».

Ces plaisanteries furent bien accueillies du public éclairé qui avait été froissé d’une expression aussi vicieuse que maladroite, employée par La Rivière pour définir son ■système politique, celle de despotisme légal, si souvent reprochée depuis aux physiocrates. Catherine H, au contraire, jugea, sur les conseils de Diderot et du prince Galitzin, que l’auteur de l’Ordre naturel et essentiel pourrait l’aider à rédiger le Code de toutes les Russies ; elle l’appela à sa cour. Si l’on s’en rapportait exclusivement aux récits que la tsarine a faits du séjour de La Rivière dans son empire, celui-ci y aurait joué un rôle ridicule.

« Dès qu’il fut arrivé, a-t-elle raconté, son premier soin fut de louer trois maisons contiguës, dont il changea précipitamment toutes les destinations, convertissant les salons en salles d’audiences et les chambres en bureaux... Il avait écrit en gros caractères sur les portes de ses nombreux appartements : département de l’intérieur, dépar-