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les colons. Mais le 7 janvier 1762, les Anglais se présentèrent de nouveau devant la Martinique et cette fois avec des forces telles que la capitulation était inévitable ; elle fut cependant reculée jusqu’au 12 février grâce aux mesures prises par l’intendant qui ne négligea pas un moment les intérêts dont il était chargé. Pendant les vingt-quatre heures de trêve accordées par les Anglais, il vendit ce qui restait des approvisionnements et prévint l’arrivée d’un vaisseau qui apportait â la colonie des secours tardifs ; il épargna ainsi à la France une perte de plus de 100000 écus ; puis il emplit de marins français le navire mis par l’ennemi à sa disposition pour le rapatrier, sans réserver déplace pour son mobilier qui fut vendu à vil prix. A son arrivée à Paris, le gouvernement accabla La Rivière d’éloges ; on déclara qu’il avait fait miracle ; mais on ne le remboursa pas de ses pertes et les propriétés qu’il possédait dans l’Anjou furent saisies pour assurer le payement des dettes qu’il avait contractées.

Trois ans plus tard, il fut désigné comme intendant d’une escadre qui devait opérer une diversion sur le Brésil. « J’étais au lit, la jambe ouverte par les suites d’une fièvre maligne », écrivit-il à Choiseul, « lorsqu’en 1758 je reçus le premier ordre de m’embarquer ; je ne vis que les ordres du roi et je partis. Je suis encore au lit la jambe ouverte par un nouvel accident au moment où je reçois votre lettre pour une opération semblable ; je ne verrai que les ordres du roi et je partirai. Quant à mes affaires domestiques, elles ne me feront certainement pas balancer, lorsque ma santé même n’en a pas le pouvoir . » (Septembre 1762.) La paix avec l’Angleterre mit fin à l’expédition sur le Brésil avant qu’elle eût commencé et la Martinique fut rendue à la France. La Rivière fut aussitôt renvoyé dans la colonie. Il la trouva dans une situation plus critique encore qu’en 1759 ; les habitants avaient été écrasés d’impôts par les Anglais ; les denrées manquaient ; les nègres avaient disparu ; il n’y avait ni bras pour récolter le sucre, ni barriques pour le mettre, ni bois pour faire des barriques. La Rivière pensa que le seul moyen d’épargner aux colons une ruine complète était de leur permettre de se procurer au plus tôt et au meilleur marché possible les objets et les bras dont ils avaient besoin en s’adressant à des vendeurs quelconques, fussent-ils Anglais* Cela était contraire sans doute aux règles ordinaires du système colonial, en vertu desquelles tes colonies ne sont entretenues à grands frais que pour satisfaire la cupidité II,

LA RIVIÈRE

d’une poignée de spéculateurs de la métropole qui se réservent le soin de commercer avec les colons. Mais la nécessité ordonnait ; il fallait « sauver la poule aux œufs d’or et la conserver pour ceux-là même dont l’intérêt serait sacrifié momentanément ». La Rivière annonça aux principaux négociants qu’il délivrerait des permissions pour apporter de la Nouvelle-Angleterre, sous pavillon quelconque, les produits indispensables aux colons, avec faculté pour les navires importateurs de faire leur retour en tafias et gros sirops de la colonie.

Il était, dès cette époque, partisan de la liberté commerciale. « On confond, disait-il, les véritables intérêts du commerce avec les intérêts particuliers de quelques marchands ; si Ton regardait comme une seule et unique personne cette multitude de marchands employés à faciliter les consommations des denrées, l’argent placé dans la main gauche ou dans la main droite ne paraîtrait pas faire une différence essentielle. » Il se garda, néanmoins, d’appliquer ses idées sans restrictions ; il n’autorisa l’importation par pavillon anglais qu’à titre exceptionnel et pour quelques produits ; en outre, comme la contrebande aurait pu profiter de l’exception, il renforça les bureaux de la douane et fréta un garde-côte de ses deniers personnels. Ces précautions n’empêchèrent pas les criailleries ; les protectionnistes de la métropole, qui voulaient profiter de la détresse des colons pour leur vendre des denrées, des nègres et des tonneaux à des prix exorbitants, prétendirent que l’intendant sacrifiait aux Anglais les intérêts de la France et cherchèrent les moyens de le perdre. L’occasion se présenta bientôt. La Rivière avait envoyé à Paris un négociant du bourg Saint-Pierre pour solliciter du gouvernement l’autorisation de traiter avec une compagnie anglaise qui offrait d’amener à bon marché à la Martinique des nègres, des bestiaux et des approvisionnements, à la condition d’user de navires anglais et de voyager en droiture, c’est-à-dire sans toucher un port français. Le négociant du bourg Saint-Pierre futéconduit par les commis de la marine et une lettre de révocation qu’on tenait depuis longtemps en réserve fut envoyée à la Martinique. L’intendant avait déjà quitté son poste ; la maladie l’en avait chassé. Dès son arrivée en France (l°* juillet 1764), il chercha à se dé fendre contre les accusations dont il était l’objet. Il pouvait prouver qu’il avait conjuré la famine, rétabli la confiance dans la colonie sans même nuire au commerce français avec la Martinique, car celui-ci avait doublé dans l’espace de quelques mois. Mais les pro-