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;astres, la disette, aujourd’hui plus traire, elle constitue souvent le paupérisme 

inondations, ou, dans un autre à l’état héréditaire. Aussi voyons-nous au-

grands désastres, la disette, aujourd’hui plus rare, les inondations, ou, dans un autre ordre d’idées, les crises industrielles, qui suspendent la vie matérielle d’un pays, en tant que productrice, mais n’en arrêtent pas les exigences  ? La prévoyance ne peut pas beaucoup ici elle peut d’autant moins que ces calamités sont aussi subites dans leur venue que graves et générales dans leurs résultats. La mutualité, la forme peut-être la plus parfaite de la prévoyance, deviendrait elle-même insuffisante si tous ceux qu’elle doit secourir étaient atteints en même temps. C’est ainsi qu’une société de secours mutuels contre la maladie ne pourrait continuer ses opérations, si tous ses membres étaient frappés en mêmetemps par une épidémie. La même raison est cause qu’il ne sera peut-être jamais possible de fonder une société de secours mutuels contre le chômage (V. ASSURANCE), le chômage général, qui est la plus terrible cause de la misère.

Enfin, n’oublions pas que si les conseils de la prévoyance peuvent mettre à l’abri de l’indigence du lendemain, ils ne sauraient empêcher de soulager les misères imprévoyantes de. la veille ils peuvent pénétrer dans des classes saines au point de vue moral, comme au point de vue physique ; mais ils ne pourraient avoir d’action sur des populations atteintes de paupérisme, affaiblies dans leur volonté comme dans leurs forces, incapables de se relever par le travail et impuissantes à soutenir la lutte de la vie.

L’assistance est inefficace, aj oute-t-on, parce qu’elle ne peut guérir, et l’on invoque volontiers, pour démontrer cette seconde partie de l’argumentation, les paroles d’un homme compétent qui n’a pas craint de dire « que l’administration de l’assistance publique à domicile n’a pas une seule fois, en soixante ans, retiré un indigent à la misère. Au contraire, dit-il, elle fait des pauvres héréditaires ». Parole qui peut être vraie dans une certaine mesure pour les secours en argent donnés aux pauvres, mais dont l’auteur n’a certainement pas voulu étendre la portée, en l’appliquant à l’hospitalisation des malades et des vieillards, ni même aux secours pécuniaires donnés d’une façon temporaire pour les jeunes enfants, les malades et les gens âgés. « Depuis soixante ans, conclut également M. de Watteville, que l’administration de l’assistance publique à domicile exerce son initiative, on n’a jamais vu un seul indigent retiré de la misère et pouvant subvenir à ses besoins par les moyens et à l’aide de ce mode de charité. Au con-

traire, elle constitue souvent le paupérisme à l’état héréditaire. Aussi voyons-nous aujourd’hui inscrits sur les contrôles de cette administration les petits-fils des indigents admis aux secours publics en 1802, alors que les fils avaient été en 1830 portés également sur les tables fatales. » Nous convenons sans peine, en effet, que les aumônes en argent peuvent être et sont frequemment ineffaces. Données par les particuliers, elles s’adressent parfois à de fausses misères ; données par une administration publique, elles sont généralement plus éclairées, mais elles manquent de ce condiment indispensable, l’assistance morale qui doit relever le pauvre, le soutenir de ses conseils et l’aider à sortir de l’ornière. L’assistance pécuniaire doit donc remplir certaines conditions pour obtenir toute son efficacité.

A ces objections trop connues, sur lesquelles il n’y a pas lieu d’insister davantage, est venue s’en’ ajouter récemment une autre, plus radicale encore, condamnant la bienfaisance parce qu’elle reconnaît à la misère une utilité et une sorte de caractère providentiel. La doctrine fataliste, qui dérive de la théorie du transformisme, soutient, en effet. que la misère serait appelée à faire disparaître les êtres moins bien doués et à opérer un travail de sélection nécessaire à l’avenir de la race. S’inspiran t des idées de Darwin et les appliquant à l’être humain, cette école admet, en effet, comme une nécessité sociale, l’élimination des individus moins bien doués, et elle y voit « un indispensable travail de sélection par lequel, dit Herbert Spencer, la société s’épure continuellement elle-même ». « Si, au contraire, poursuit le philosophe anglais, une philanthropie mal éclairée se met en travers de cette loi bienfaisante, elle va rejeter les non-producteurs à la charge des producteurs, dégrader l’espèce et amasser comme à plaisir une réserve de souffrances pour les générations futures, de sorte que l’on peut se demander si la sotte philanthropie, qui ne pense qu’à adoucir les maux du moment, sans voir les maux indirects de l’avenir, ne produit pas au total une plus grande somme de misère que l’extrême égoïsme ». Cette conclusion de la théorie transformiste n’est, d’ailleurs, pas .partagée par tous les membres de l’école. Quelques-uns d’entre eux se révoltent contre sa dureté. Tel, par exemple, M. Fouillée, qui, après avoir, suivant les traditions de cette école, battu en brèche l’antique charité, dont il signale les inconvénients, la ressuscite, en lui imposant le baptême sociologique, et l’appelle la justice réparatrice et contractuelle.


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