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lait pas de limites ; l’une est naturelle, don des enfants infirmes. Aristote reprendra

connaît pas de limites ; l’une est naturelle, l’autre ne l’est pas ; l’une est « légitime, nécessaire et estimée à bon droit », l’autre est illégitime et « justement dédaignée ». Aristote, sur ce point comme sur tant d’autres, a pourtant eu des vues profondes « Le désir de la vie n’ayant pas de bornes, on est directement porté à désirer, pour le satisfaire, des moyens qui n’en ont pas davantage ». Mais il n’est pas possible, même à un si grand esprit, de se dégager tout à fait des préjugés de son temps, et ces préjugés, non moins qu’une rigueur logique exagérée et que le défaut d’observation des faits, ont induit le philosophe en erreur. En ce qui touche l’usure et le prêt à intérêt, l’erreur est radicale et confine à l’absurdité. L’argument tiré d’un jeu de mots, à savoir que l’argent ne fait pas de petits, ne produit pas naturellement, est puéril et indigne d’Aristote.

Le quatrième chapitre est formé de considérations pratiques sur l’acquisition des biens. Aristote y poursuit longuement la distinction qu’il a précédemment établie entre la richesse naturelle et la richesse artificielle. Il y fait la classification ou plutôt il y dresse une hiérarchie des métiers. A noter une réflexion sur le monopole général et les accaparements « Les expédients de ce genre sont utiles à connaître, même pour les chefs des Etats. Bien des gouvernements ont besoin, comme les familles, d’employer ces moyens-là pour s’enrichir et l’on pourrait même dire que c’est de cette seule partie du gouvernement que bien des gouvernements croient devoir s’occuper ».

Dans le deuxième livre de la Politique, Aristote examine les théories de Platon sur la communauté des femmes, des enfants et des biens. Il adhère, en la corrigeant, à la formule que Platon prête à Socrate sur la propriété « La propriété doit aller jusqu’à satisfaire les besoins d’une vie sobre ». Mais, remarque Aristote, une vie sobre peut être pénible. Il faut dire « sobre et libérale ». Aristote se trouve amené ainsi à parler de la population, car, dans l’hypothèse d’un partage égal des biens, le nombre des partageants n’est pas indifférent. Est-ce la population qu’il vaut mieux limiter, ou la propriété  ? Aristote penche vers le premier parti. Sa doctrine, là-dessus, est assez hésitante. Cependant, il semble avoir compris l’influence moralisatrice de la propriété et de l’habitude du travail. Peut-être le meilleur serait-il encore que la loi ne statuât rien à l’égard de la propriété et qu’elle tàchât seulement de prévenir l’excès de la population. Par quels moyens, on le sait ; les avortements, l’aban-

don des enfants infirmes. Aristote reprendra

ces deux questions de la propriété et de la

population plus loin, dans le quatrième-

livre, après avoir donné l’analyse qui est

pour nous un document historique sans prix,

des diverses constitutions de Phidon de

Corinthe, de Phaléas de Chalcédoine, d’Hippo-

damus de Milet, des constitutions de Lacé-

démone, de Crète et de Carthage. (Le traité

spécial d’Aristote surlaconstitution d’Athènes

est malheureusement perdu.) Malgré tout

on voudrait, sur le partage de la propriété, des conclusions plus fermes, puisque, sur la population, Aristote n’aboutit qu’à la solution brutale de son temps. Sur la quotité desfortunes, il donne une règle, purement mo-

rale Au lieu de les niveler, il faut si bien

faire que « les hommes modérés par tempérament ne veuillent pas s’enrichir et que lesméchants ne le puissent point » (livre II,

ch. iv). Sur la propriété ou la communauté

des biens, il se contente de dire « Nous,

avons déjà rejeté la communauté des terres admises par quelques auteurs ; mais nous

avons déclaré que la bienveillance des citoyens entre eux devait en rendre l’usage

commun, pour que tous fussent assurés du moins de leursubsistance » (livre IV, ch. IX). Ce système mixte a l’inconvénient de n’être

pas très clair.

Mais il demeure, quand même, incontestable que le génie d’Aristote, quand il lui est

arrivé d’aborder des sujets d’ordre économique, n’a été, la part faite aux circonstances contraires du temps et du milieu, ni moins puissant ni moins bien inspiré qu’ailleurs.

Comme enseignement positif, Aristote a affir-

mé, dans sa définition de la monnaie, une vérité primordiale, à l’expression simple et précisede laquelle vingt siècles n’ont rien changé. Il est passé, en les entrevoyant, tout près de quelques autres vérités importantes. Enfin, même par ce qu’il y a de négatif dans son traité de la Politique, par sa critique des constitutions dont il nous a conservé le sens, par ses objections contre le communisme égali-

taire de Platon, par l’instinct qu’il a eu de la dignité du travail et de la valeur morale de s la propriété, Aristote a acquis le droit d’être compté au premier rang, en date et en mérite,

 ? des fondateurs de l’économie politique. 

CHARLES BENOIST.

V. le chapitre consacré à Aristote dans l’HISTOIRE DES DOCTRINES ÉCONOMIQUES, par Alfred Espinas ; Colin, éditeur. 1

ARRIVABENE (comte Giovanni),économiste e italien, né à Lugano le 23 juin 1787, mort à s Mantoue le 11 janvier 188i. A la suite de la révolution piémontaise de 1821, il fut arrêté


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