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seignement spécial et de la dextérité, laquelle ne s’obtient que par une assez longue habitude. De plus, ces sortes de métiers ne s’exercent que dans des ateliers ou sur des chantiers fermés.

Dans l’agriculture, il n’y point d’apprentissage proprement dit, bien que cette profession exige une longue pratique. Mais comme elle occupe des enfants aussi bien que des hommes, ce sont ces enfants qui, en grandissant et prenant de la force, arrivent peu à peu à faire le travail entier. Ils deviennent agriculteurs par l’habitude en regardant etentendant, en travaillant dans leur famille le plus souvent et sans qu’il soit nécessaire de les engager à un patron.

Il en est de même dans le travail des mines. Ce travail, qui demande seulement une certaine vigueur physique et une longue habitude du milieu où il se pratique, recrute ses ouvriers parmi les enfants admis d’abord à exécuter certaines besognes conformes à leur âge et à leur force. Ils deviennent ouvriers en devenant plus robustes et sans aucun enseignement spécial.

De même encore dans la grande industrie où l’ouvrier n’est plus que l’auxiliaire de machines très perfectionnées qui font tout le pénible et le difficile du travail. Il faut seulement, pour être ouvrier, une certaine vigueur physique et surtout beaucoup de dextérité. Ce sont d’ordinaire les enfants d’abord aides et assistants de ces ouvriers qui, peu à peu, lorsque la force leur vient et que des vacances se produisent, arrivent à les remplacer. Là non plus, il n’y a pas d’apprentissage, toujours au sens particulier et restreint que l’usage a donné à ce mot.

Il n’en a pas toujours été ainsi, et l’apprentissage avait jadis une importance qu’il n’a plus.

Jusqu’àlafin du siècle dernier l’exercice de la plupart des métiers industriels était le privilège d’artisans organisés dans chaque ville en compagnies ou corporations (voy. ce mot). Pour devenir maître, c’est-à-dire pour avoir le droit de travailler à son compte, il fallait d’abord avoir été apprenti. En effet, nuln’était reçu maître s’il ne prouvait par des preuves techniques qu’il connaissait bien le métier or, ce métier était souvent un secret qui se transmettait avec un soin jaloux. Il était en tous cas long et compliqué, car la division du travail n’existait pas et chaque artisan devait souvent préparer lui-même la matière première et parfois faire jusqu’à ses outils. Il était donc nécessaire d’avoir été apprenti, mais les ateliers n’étaient pas ouverts à tout

2. Historique.

venant. Comme il fallait éviter d’encombrer le métier et ne pas prodiguer la connaissance des secrets professionnels, le nombre de. apprentis était limité. Chaque maître n’er pouvait prendre qu’un seul à la fois. D’autre part,commeles apprentis étaient de futurs collègues et que les membres des corporations étaient liés étroitement par l’intérêt professionnel et se considéraient comme solidaires à ce point de vue, tout ce qui concernait l’apprentissage était réglé avec un soin rigoureux.

Les conditions du contrat étaient toujours écrites, en un temps où l’on écrivait peu, et déposées dans les archives de la corporation. Les dignitaires du corps de métier veillaient à leur stricte exécution et étaient armés pour cela, puisqu’ils avaient la juridiction du métier et le droit de prononcer des peines, celui même d’annuler le contrat.

L’apprenti habitait chez son maître et lui devait soumission et obéissance pendant toute la durée de l’apprentissage, laquelle souvent était hors de proportion avec les difficultés de la profession ; c’était un moyen de diminuer le nombre des concurrents. S’il s’enfuyait, il était ramené chez son maître. Il faut ajouter que l’apprentissage commençait ordinairement alors plus tard que de nos jours. En Angleterre, dans certaines professions, on n’entrait en apprentissage qu’à l’âge de vingt et un ans et l’on y restait sept ans. Une somme d’argent était toujours due par la famille de l’enfant pour récompenser le patron du temps qu’il donnait à cet enfant et des dépenses qu’il faisait pour lui. Quelquefois cette somme était remplacée au moins en partie par une durée plus longue de l’apprentissage. On considérait que l’apprenti à la fin pouvait travailler utilement et indemniser le patron des dépenses faites au début. De son côté le patron devait enseigner à l’apprenti le métier dans tous ses détails. Il devait veiller sur sa conduite et faire son éducation morale aussi bien que son éducation professionnelle, ne lui donner enfin qne de bons exemples, ce qui était facile à raison de la manière dont les maîtres se recrutaient, du sérieux contrôle exercé par le corps entier sur la vie privée de ses membres et de l’esprit religieux qui régnait alors parmi la classe bourgeoise. Ses droits comme ses obligations se résumaient en ceci il devait agir en père de famille, ce qui comportait, avec une autorité très complète sur l’apprenti, de sérieuses obligations à son endroit.

On peut donc dire que les apprentis n’achevaient point leur temps sans savoir le métier et sans même avoir déjà l’esprit de la compagnie et l’amour-propre professionnel.


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