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étrangères. Je n’ai aucune objection à faire contre l’émigration volontaire; mais l’émigration, lorsqu’elle provient de la nécessité de fuir la famine légale, c’est de la déportation et pas autre chose. (Bruyantes acclamations.) Rendez au peuple de ce pays le droit d’échanger le fruit de ses labeurs contre du blé étranger, et il n’y a pas en Angleterre un homme, une femme ou un enfant qui ne puisse pourvoir à sa subsistance, et jouir d’autant de bonheur sur sa terre natale, qu’il en pourrait trouver dans tout autre pays sur toute la surface de la terre. » Après avoir triomphé de tous ses adversaires et de tous les obstacles, la Ligue contre les lois-céréales, qui avait lutté pied à pied pendant huit années et qui avait fini par obtenir de la loi la consécration du principe de la liberté des échanges, prit la résolution de se dissoudre. Néanmoins les membres qui l’avaient formée et illustrée ne crurent pas leur rôle fini; ils ne ralentirent pas leur activité et se donnèrent une nouvelle tâche. Ils formèrent un nouveau programme, programme de paix et de non-intervention dans les affaires du continent. La paix était pour eux -la conséquence nécessaire du développement des relations commerciales des peuples. Cobden se dévoua à la défense de ce second programme avec autant d’énergie qu’à celle du premier, et les congrès de la paix n’eurent pas d’orateur plus fidèle ni plus écouté que lui. Il ne craignit pas de se mettre, en faisant cette propagande, en travers de tous les entraînements d’un patriotisme surexcité. Lord Palmerston, le représentant des vieux préjugés de la vieille Angleterre, était, en 1854, le chef du cabinet. Sa politique étrangère était toujours active et souvent agressive. Il se souciait fort peu des congrès de la paix, et disait à la veille de la guerre de Crimée « La nation anglaise est unanime sur cette question; je dis unanime, car je ne puis compter pour quelque chose Cobden, Bright .et Cie. » Aux élections générales de 1857, les électeurs, si fidèles jusque là aux grands défenseurs de la cause populaire, ne renvoyèrent au parlement ni Cobden, ni Bright, ni Milner Gibson. Cet échec causa une consternation véritable parmi leurs amis c’était une déroute pour l’école de Manchester. Pendant deux années de suite Cobden se trouva hors de la Chambre des communes; les électeurs ne lui en rouvrirent les portes qu’en 1859, par une élection partielle à Rochdale. Bright y était rentré avant lui. Le temps approchait où Cobden allait ren- dre un nouveau service à son pays. Les chambres françaises étaient toujours restées dévouées au système protecteur, et il n’y avait aucune chance de leur faire accepter en 1860 plus que dans les années précédentes le vote d’une loi intérieure quelconque accordant aux consommateurs un abaissement sérieux dans le tarif des droits de douanes. Cependant la constitution donnait à l’empereur Napoléon III le pouvoir de signer des traités avec les nations étrangères, sans qu’il lui fût imposé de les faire ratifier par une loi. Michel Chevalier comprit que, dans cet état de choses, il devait tourner tous ses efforts du côté de l’empereur; c’était lui, ce n’était pas l’opinion publique qu’il était nécessaire de convertir aux idées libérales. On sait quel fut le succès de cette tentative. L’empereur, M. Rouher, M. Baroche et M. de Persigny, consentirent à ouvrir secrètement des négociations avec l’Angleterre. L’affaire fut menée comme une conspiration, ce qui d’ailleurs n’était pas pour déplaire à Napoléon III. Michel Chevalier se mit immédiatement en rapport avec Cobden. C’était bien contraire aux principes de Cobden que de réaliser la liberté commerciale par un traité. Il avait affirmé cent fois qu’une nation, quand elle abaissait les droits de douanes, le faisait à son profit, que par cet abaissement elle se faisait dubien à elle-même, puisqu’elle se donnait lapossibilité d’acheter à meilleur compte ce dont elle avait besoin. La doctrine de la réciprocité est l’antipode de la doctrine économique. Mais Cobden vit de tels avantages de fait et de propagande dans la modification qu’un traité de commerce pourrait réaliser dans le système français, qu’il consentit à être un des ouvriers de l’oeuvre de Michel Chevalier. Après s’être mis d’accord avec M. Gladstone, il se rendit à Paris et y arriva le 18 octobre 1859; il eut presque immédiatement une entrevue avec l’empereur. La négociation se poursuivit très secrètement, avec continuité mais non sans difficulté, jusqu’au 6 janvier 1860. Ce jour-là l’empereur fit paraître au Moniteur une lettre à M. Fould, dans laquelle il annonçait, en termes vagues mais très vite compris par les intéressés, le changement qui se préparait. Quelques ministres avaient bien fait une opposition, demandant une enquête, ce qui, en donnant de la publicité aux négociations, en aurait rendu le succès impossible. Mais M. Rouher l’avait dit à Cobden, « Il n’y a qu’un homme dans le gouvernement, l’empereur, qu’une volonté, la sienne. » Or l’empereur voulait qu’on en finit au plus vite et le traité fut signé. Le 10 février 1860, lord John Russell le déposa sur le bureau de la Chambre des com-