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ne saurait la raconter, même sommairement, sans dépasser les bornes de cette notice. Mais il nous suffira, pour faire comprendre la valeur de l’homme, de parler des deux grands triomphes de sa vie, des deux grands actes qui illustrent sa mémoire la Ligue contre les lois céréales et contre les monopoles du système protecteur, et la conclusion, à la suite de négociations d’un caractère très personnel et très étrange, du traité de commerce de 1860, entre la France et l’Angleterre.

Des hommes, peu connus en dehors du cercle de leurs relations d’intimité ou d’affaires, s’étaient réunis en octobre 1838 au nombre de sept, pour chercher en commun le moyen de renverser le monopole des propriétaires de terres à blé par les voies légales, et pour accomplir, comme l’a dit Bastiat, « sans troubles, sans effusion de sang, par la seule puissance de l’opinion, une révolution aussi profonde, plus profonde peut-être, que celle qu’ont opérée nos pères en 1789. »

De cette réunion est sortie la Ligue contre les lois sur les blés, contre les corn-laws, contre les lois-céréales, selon l’heureuse traduction de Bastiat. La Ligue, à peine créée, s’étend à des milliers d’adhérents. Elle n’attend pas qu’on vienne à elle ; elle se porte partout au-devant de ceux dont elle a pris la cause en mains. Elle ouvre de tous les côtés des écoles de liberté ; ce sont des meetings dans de grandes salles, en plein vent ou sous des hangars et partout, pour entendre la voix de la Ligue, se pressent des milliers d’auditeurs ; c’est comme une université mouvante, qui fait, sur tous les points de l’Angleterre, l’éducation de ceux qui affluent à ses leçons, petites gens et grands industriels, cultivateurs et fermiers, ceux-là mêmes auxquels on osait dire qu’ils étaient protégés par les lois-céréales.

Cobden est son orateur ; il est partout où l’on agite ; il est l’agitateur par excellence. Il personnifie la Ligue. Sa figure est celle d’un vrai Normand il a de la finesse dans les traits ; son regard est scrutateur et doux ; son maintien est timide et cependant tout son air respire l’assurance et la force. Il n’a pas la belle langue de John Bright, ni sa voix mélodieuse, ni cette puissance aisée, qui en ont fait le plus grand orateur de son temps ; mais il va plus au fait ; il saisit mieux son homme, le prend plus vite et le pêche, pour ainsi dire, le ramassant, sans qu’il puisse s’en défendre, dans son filet. C’est bien un grand pêcheur d’hommes. Quoi de plus simple, de plus grand, et en même temps de plus touchant que la scène où ait la raconter, même sommairement, Cobden s’empare de Bright et l’entraîne, tout passer les bornes de cette notice. Mais ému, dans cette noble lutte où les deux amis Cobden s’empare de Bright et l’entraîne, tout ému, dans cette noble lutte où les deux amis devaient combattre ensemble avec tant de gloire, et sans avoir un seul instant désespéré du succès ! C’est Bright lui-même qui l’a racontée.

Il venait de perdre sa femme :

« J’étais alors, dit-il, à Leamington, et le jour où Cobden vint me voir, car il se trouvait en visite chez ses parents, j’étais plongé dans une tristesse qui était presque désespérée la lumière et le soleil de ma maison s’étaient éteints. Tout ce qui restait de ma jeune femme sur la terre, excepté la mémoire d’une vie sainte et d’un bonheur trop court, était étendu froid et immobile dans la chambre au-dessus de nous. M. Cobden venait me voir comme un ami et m’adressa, comme vous pouvez l’imaginer, des paroles de sympathie. Après quelque temps, il leva les yeux et me dit : Il y a, à cette heure, en Angleterre, des milliers de maisons où des mères, des enfants meurent de. faim. Eh bien! quand le premier paroxysme de votre douleur sera passé, je vous conseille de venir avec moi, et nous ne nous reposerons que lorsque la loi-céréale sera abolie. J’entendis. son appel. Je savais que la description de l’état où se trouvaient des milliers de malheureux n’était pas exagérée. Je sentis dans. ma conscience que c’était une œuvre que quelqu’un devait accomplir ; je répondis à sa demande et depuis ce jour nous ne cessâmes de faire des efforts pour exécuter la résolution que nous avions prise. »

Cobden a dû son succès, d’abord à sa ténacité naturelle, à la force avec laquelle il a su concentrer dans une seule idée toute l’activité de son esprit, toute l’émotion de son cœur, toute l’énergie de sa volonté, et aussi. à la façon dont il savait s’emparer de ceux qui l’écoutaient, leur imposant à eux-mêmes une idée qui devenait à leur tour leur idée fixe, et faisant de ceux qu’il avait entraînés, des recruteurs nouveaux pour de nouveaux adhérents. Du premier coup il brise les cadres des vieux partis dans lesquels les Anglais s’enrégimentaient jusque-là. Il n’y a pour lui, ni tories, ni whigs, ni radicaux. Il traite avec la même violence et le même mépris les ducs de Wellington et de Buckingham, chefs des vieux tories, sir Robert Peel, chef des nouveaux tories, lord John Russell, chef des whigs et le vieux Roebuk, cher des radicaux.

Il attaque un jour, en plein parlement, sir Robert Peel avec tant de force que Robert Peel se lève tremblant de rage et l’accuse de provoquer à son assassinat.

Quand lord John Russel adhère aux prin-