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merce est beaucoup plus apte que le gouvernement à recueillir des renseignements de cette nature, car il est le premier intéressé à les avoir. Pourquoi donc ne pas le laisser s’éclairer seul, puisque les lumières qu’on peut lui procurer sont moins certaines que les siennes ?

Les gouvernements sont intervenus d’une manière plus directe encore dans l’approvisionnement des populations. Ils ont consacré des sommes considérables à des achats de grains étrangers ou indigènes ; ils ont créé des greniers d’abondance et autorisé des municipalités à s’imposer des sacrifices de même nature. Ces sacrifices étaient-ils bien entendus ? L’expérience prouve le contraire, et le raisonnement vient à l’appui de l’expérience. Lorsque le gouvernement achète des blés dans une année de disette, il n’en fait pas un objet de spéculation ; il achète presque toujours avec l’intention de revendre à perte ; ceci, dans l’intention louable de soulager les populations qui souffrent de la disette. Mais le commerce, qui n’a point la ressource de reporter ses déficits sur des contribuables bénévoles, le commerce ne peut imiter ce genre de spéculation philanthropique. Lorsque le gouvernement commence ses achats, le commerce est obligé, en conséquence, de cesser ou de ralentir les siens. Il abandonne le marché au gouvernement plutôt que de le lui disputer en vendant à perte. Or, comme les moyens dont le gouvernement et les municipalités disposent pour approvisionner un pays ne sont jamais comparables à ceux du commerce, les consommateurs finissent toujours par être les victimes de cette intervention anormale : au lieu de recevoir plus de blé, ils en reçoivent moins. Lorsque les gouvernements s’aperçoivent de ce résultat, ils se mettent communément de fort mauvaise humeur contre le commerce, et ils veulent le forcer à livrer ses blés ; ils font faire des visites domiciliaires chez les marchands, ils ordonnent d’apporter les grains au marché, de les vendre à un prix maximum, etc., etc. Le commerce ainsi violenté déploie moins d’activité que jamais, et cela dans le moment même où tous ses efforts seraient nécessaires pour subvenir aux besoins urgents de la consommation. Le gouvernement n’a plus alors que deux partis à prendre, c’est de cesser de se mêler des approvisionnements et de laisser faire le commerce, ou de se charger seul de l’alimentation publique. Nous avons vu quels ont été en France les résultats de ce dernier système. La même expérience a été faite dans d’autres États moins étendus, où elle a causé aussi de grandes pertes : à Rome, par exemple, la cassa Annonaria, instituée par Paul V au commencement du dix-septième siècle, demeura chargée des approvisionnements pendant près de deux siècles. Elle avait reçu d’abord la mission inexécutable de veiller à ce que le pain se vendît toujours à un prix uniforme, quelle que fût l’abondance ou la rareté du blé ; mais, s’apercevant bientôt de l’impossibilité d’assujettir le commerce à cette règle, elle s’empara du monopole des approvisionnements. Pendant près de deux siècles, elle réussit à maintenir uniformément le prix du pain de huit onces à un baïoc ou sol romain, d’un dixième plus fort que le sol de France ; mais, au bout de ce temps, la cassa Annonaria fut renversée avec le gouvernement pontifical et elle laissa un déficit considérable : « Quelle que fût l’abondance ou la rareté des blés, dit M. de Sismondi, la chambre apostolique les passait aux boulangers à raison de 7 écus romains (37fr,10) le rubbio, mesure qui pèse 640 kilogrammes. Ce prix ne s’éloignait pas beaucoup de la moyenne et il laissait aux boulangers un profit suffisant lorsqu’ils vendaient leurs petits pains au prix d’un baïoc. Jusqu’à l’année 1763, les bénéfices de la chambre compensèrent ses pertes. Mais vers cette époque commença une hausse dans les prix des blés, qui alla toujours croissant jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. Malgré ses pertes, la chambre apostolique, redoutant toujours plus de donner lieu au mécontentement populaire, continua de faire vendre le pain au même prix ; aussi, lorsqu’en 1767 le gouvernement pontifical fut renversé, la cassa Annonaria présenta un déficit de 3,293,865 écus ou 17,457,485 francs[1]. »

Arrivons maintenant à l’intervention du gouvernement dans le commerce extérieur des céréales. Cette intervention s’est manifestée d’un côté par des allocations de primes à l’importation, et à l’exportation, d’un autre côté, par des entraves de diverse nature apportées à l’entrée et à la sortie des céréales.

Le système des primes à l’exportation a le double défaut d’encourager une branche particulière de la production aux dépens de toutes les autres, et de fournir aux consommateurs étrangers une véritable subvention aux dépens des contribuables nationaux. (V. Primes.) Au surplus, l’exemple de l’Angleterre atteste la complète inefficacité des primes pour développer l’agriculture et assurer la subsistance des populations. Les primes d’importation donnent lieu à des manœuvres frauduleuses ; elles ont en outre l’inconvénient de faire hausser les prix en activant, le plus souvent d’une manière prématurée, la demande des céréales dans les pays de produc-

  1. Études sur l’économie politique, t. II, p. 44.