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C’était une sorte de consignation de l’état des propriétés sur des registres fonciers. À Athènes, les démarques, les chefs des différents districts de l’Attique étaient chargés de les tenir constamment à jour.

Ces livres dont l’objet presque unique était de fournir à l’État un moyen commode de répartir l’impôt ne pouvaient être invoqués comme titres de propriété devant les tribunaux.

Servius Tullius ordonna un cadastre de Rome qui devait être renouvelé tous les cinq ans. Sous l’empereur Auguste, un cadastre de l’empire fut dressé, qui servit de base pour établir les règlements agraires. On ajoutait au produit du sol, pour servir d’assiette à son évaluation, le nombre des esclaves qui s’y trouvaient. C’était un arpentage général des terres classées, suivant leur fertilité, en diverses catégories dont chacune était taxée en raison de son rendement. Tous les dix ans avait lieu un cens qui, après le ve siècle, servit en Gaule pour partager les terres conquises et percevoir les tributs.

Dioclétien adopta une unité imposable, une parcelle type, qui était une division fiscale et non géométrique. Cette unité était frappée d’une contribution fixe et comprenait plus ou moins de terres, suivant qu’elles étaient plus ou moins fertiles et productives. Ainsi, tandis qu’il fallait 20 arpents des champs de la deuxième catégorie pour former une parcelle type, 5 arpents de vignes en formaient une à eux seuls.

Chaque circonscription financière comprenait un certain nombre de parcelles types, et ce nombre servait à déterminer le chiffre de la somme due par toute la circonscription.

On n’a pas beaucoup inventé depuis lors. Chilpéric Ier et Chilpéric II firent rectifier le cadastre[1] de leurs États. Sous Charlemagne, l’opération ne donna que des résultats imparfaits.

Aux siècles suivants, églises et ablayes firent dresser les états de leurs domaines. Ce furent des polyptiques ou pouillés, dont le plus connu est le Dom’s day Book rédigé par Guillaume de Normandie après la conquête de l’Angleterre. Les seigneurs féodaux constituèrent aussi des terriers.

Les anciens cartulaires ou livres terriers étaient établis avec soin. On cite le Polyptique de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, à Paris, au ixe siècle ; le terrier de la seigneurie Coulombes, appartenant à l’abbaye de Chelles, dressé en 1509 ; celui de la paroisse de Paray, canton de Donnemarie, dressé en 1768.

La Bourgogne, la Guyenne, l’Alsace, la Flandre, l’Artois, la Bretagne, le Dauphiné, firent également des relevés de propriétés, afin d’essayer de répartir les tailles proportionnellement.

Charles VI eut l’idée d’un recensement général qui ne fut exécuté qu’en Provence, où le cadastre s’appela affouagement. Charles VIII entreprit de faire dresser un cadastre permettant de répartir l’impôt d’une façon plus équitable entre les taillables ; mais les guerres d’Italie, les guerres de religion vinrent paralyser ces bonnes intentions ; la confection du cadastre, aussi bien qu’une égale répartition des taxes, fut remise à des temps meilleurs. François Ier, dans un édit de 1535, prescrivit de cadastrer quatre généralités du midi de la France. Colbert ordonna un règlement pour la perception de la taille. Son but était de ramener cet impôt, en trois ou quatre ans, à 25 millions. Sous son ministère, la généralité de Montauban fut cadastrée (1664).

En 1763 (déclaration du 21 novembre), on émit peut-être pour la première fois l’idée d’un cadastre général. Comme aujourd’hui, la dépense effraya. La loi, bien qu’enregistrée dans un lit de justice, ne reçut aucune application. La déclaration du 21 novembre 1763 disait, au surplus, qu’on ne procéderait à l’opération cadastrale qu’après avoir arrêté un meilleur mode ou un renouvellement du système financier de la France, après les mémoires du parlement et des autres corps de l’État.

En 1780, Necker parlait aussi du cadastre, mais il se bornait à une sorte de désir platonique de le mettre à exécution.

En 1789, les idées de l’école physiocratique étaient à la mode. Suivant Quesnay et ses disciples, l’industrie et le commerce ne faisaient que transformer les produits de la terre, qui étaient la vraie richesse, sans y rien ajouter. Les agriculteurs avaient donc seuls un revenu net réel. D’où il suivait que l’impôt, la part du revenu net de chacun consacré à la satisfaction des besoins de tous, devait peser exclusivement sur la terre.

Dans ce système, l’établissement d’un cadastre était une impérieuse nécessité. L’Assemblée constituante, le 1er décembre 1790, décréta le principe de l’évaluation du revenu des propriétés imposables. La loi du 21 août 1791 chargea les administrations départementales d’ordonner les opérations, et celle du 16 septembre suivant en régla le mode d’exécution.

La Convention, par ses votes des 21 mars et 30 novembre 1793, 27 janvier 1794 et 22 octo-

  1. Il ne faudrait pas donner à ce mot la signification complexe qu’il a aujourd’hui. Nous estimons que c’était plutôt une sorte de recensement.