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a renouvelé, en les exagérant encore, les désastreux effets du faux monnayage.

Les anticipations et les aliénations de revenus offraient aux financiers du temps passé une autre ressource qui est encore exploitée de nos jours par les gouvernements orientaux. Pour parer à l’insuffisance d’une année, on engageait les revenus des années suivantes ; bien plus, on battait monnaie avec ces recettes en expectative, en vendant à des traitants le droit de les percevoir à l’échéance ; les premiers actes des ministres éclairés avaient presque toujours pour but de dégager les revenus du roi des aliénations consenties par leurs prédécesseurs. Ces procédés ont disparu, grâce à l’annualité des budgets et à la spécialité des exercices. Toutefois on a établi, sous le nom d’obligations à court terme, un système d’emprunts qui n’est pas sans offrir quelque analogie avec les anciennes anticipations[1].

Nous ne parlerons pas de la méthode qui consiste à s’ingénier dans le calcul des prévisions de recettes et de dépenses jusqu’à ce qu’on obtienne un équilibre fictif ; ce n’est qu’un moyen de faire illusion aux autres et à soi-même.

Couvrir l’insuffisance au moven des ressources de la dette flottante, ou encore l’imputer sur les découverts du Trésor, c’est faire, dans une langue qui n’est pas à la portée de tout le monde, l’aveu pur et simple du déficit.

Se souvenir que parmi les budgets non réglés, il en est un ou plusieurs qui se soldent en excédent et appliquer cette ressource au budget en préparation, ce n’est pas sans doute augmenter le découvert, mais c’est renoncer à l’atténuer, ce qui revient à peu près au même.

Tous ces moyens ne sont que des expédients. Le succès momentané qu’ils obtiennent en général n’est pas le moindre de leurs dangers. « On n’appelle plus parmi nous un grand ministre, disait Montesquieu, celui qui est le sage dispensateur des revenus publics, mais celui qui est homme d’industrie et qui trouve ce qu’on appelle des expédients ».

L’ordre financier, une fois troublé, ne se rétablit pas du premier coup. Aussi les ministres les plus sages ont-ils été réduits parfois à user eux-mêmes d’expédients. Ils ne l’ont fait qu’avec la ferme volonté d’abandonner au plus tôt des procédés dont ils signalaient, les premiers, les défectuosités et les inconvénients.

Les véritables moyens d’équilibrer un budiget en déficit sont l’emprunt, la réduction des dépenses ou l’augmentation des recettes.

L’emprunt s’impose comme une nécessité lorsque les proportions de la dette flottante menacent de créer des embarras au Trésor. On consolide alors une partie de cette dette au moyen d’une émission de rentes dont les propositions du ministre des finances déterminent la nature, la forme, l’heure et le montant. Mais l’emprunt ne saurait être considéré comme une ressource normale et permanente pour le budget. Un particulier qui emprunterait tous les ans pour assurer son existence marcherait à la ruine. Il en est de même des États.

La diminution des dépenses doit être l’objet des soins constants d’un bon ministre des finances. Mais elle ne peut être que le prix de longues recherches et d’efforts patients. Si l’on n’y recourt que sous l’aiguillon de la nécessité, cette ressource risque fort de ressembler à celle que Calonne espérait trouver dans les abus. Les dépenses les plus exagérées et les moins utiles sont souvent celles qui trouvent les défenseurs les plus passionnés et on en vient alors à ces « sottes économies », pour emprunter le langage de M. Thiers, qui consistent à torturer les services et quelquefois à les désorganiser, pour n’obtenir finalement aucune réduction sérieuse de dépenses ». Il y a d’ailleurs des économies qui ne peuvent être réalisées que moyennant une augmentation temporaire de dépenses : par exemple, la réduction des cours et tribunaux nécessiterait le remboursement de la valeur d’un certain nombre d’offices de greffiers, d’avoués et d’huisiers. Il y en a d’autres qui coûtent cher : ce sont celles qui, en diminuant le nombre des agents de perception, exercent une fâcheuse influence sur le produit des impôts. Enfin, une économie à laquelle on songe d’abord et à laquelle on recourt souvent est celle qui consiste à supprimer ou à réduire l’amortissement (V. Amortissement). Ce procédé, qui tend à considérer les crédits affectés à ce service comme une poire pour la soif, comme une réserve en cas de nécessité, est vivement critiqué par certains théoriciens pour qui la doctrine de l’amortissement est une sorte de superstition. On oublie que, dans certains cas, c’est amortir que de ne pas emprunter.

L’augmentation des recettes peut consister dans une aliénation de biens, dans l’augmentation des impôts existants ou dans la création d’impôts nouveaux. Quand l’État possédait de vastes domaines, les aliénations constituaient une ressource toujours disponible qui a été exploitée jusqu’à épuisement ; elle n’existe plus qu’exceptionnellement pour

  1. Le mot anticipation n’a pas entièrement disparu de notre langue financière. Mais on ne l’applique plus qu’à certaines opérations de recette et de dépense réalisées dans un exercice pour le compte de l’exercice suivant.