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Après avoir déterminé les voies et moyens, il faut en évaluer le produit, afin d’établir la balance du budget. Comme il n’existe dans les pays où le produit des impôts n’est pas affermé (V. FERME) qu’un petit nombre de contributions dont le montant soit déterminé à l’avance, le ministre se trouve entre deux écueils. Ses prévisions sont-elles trop élevées, elles exposent l’État à des mécomptes qui inquiètent l’opinion et impressionnent défavorablement le crédit ; trop faibles, elles éveillent l’espoir des plus-values et encouragent l’augmentation des dépenses. D’un autre côté, si habile que soit le ministre, il lui est impossible de prévoir plus d’un an à l’avance la marche que prendront les événements et le courant que suivront les fluctuations de la fortune publique. Plusieurs méthodes s’offrent à lui. Il règlera ses prévisions ou sur les faits les plus récents, c’est-à-dire sur les résultats du dernier exercice clos, ou sur les résultats d’une année composée plus ou moins arbitrairement ; c’est ce procédé qui a été le plus généralement suivi chez nous ; on lui a donné le nom barbare et assez impropre de règle de l’antépénultième2. Ou bien encore, il tiendra compte dans ses calculs de la progression naturelle des recettes en déterminant le coefficient de cette progression d’après l’expérience d’une période plus ou moins longue ; c’est ce qu’on appelle le système des majorations. Il peut enfin combiner ces deux méthodes, en faisant choix de l’une ou de l’autre suivant la nature des impôts. De ces divers systèmes, aucun n’est complètement satisfaisant ; aucun n’est absolument mauvais, à la condition d’être appliqué avec sincérité. On ne saurait méconnaître toutefois que la règle de l’antépénultième, consacrée chez nous par une longue tradition, a l’avantage d’enlever aux évaluations tout caractère arbitraire. Celles-ci, unefois arrêtées, sontrapprochées des prévisions de dépenses. Si les unes et les autres se balancent exactement, le résultat n’est qu’à moitié satisfaisant. Non seulement il est à présumer que les crédits alloués seront presque intégralement dépensés, mais i. On sait qu’en général le projet de budget est déposé dans les premiers jours de l’année qui précède l’exercice. Comme la préparation exige un travail d’environ trois mois, c’est quinze mois à l’avance qu’on commence à réunir les éléments du budget.

. Pour comprenne 1 emploi de ce mot, il faut envisager à la fois l’année qui donne son nom au budget et celle qui désigne le dernier exercice clos. Le budget de 1891, par exemple, dont la préparation a commencé dès les derniers mois de 1889, serait arrêté, dans ce système, d’après les résultats de l’exercice 1888. Mais, dans la pratique, ce sont les recettes de ravant-dernière année, l’année 1889 dans l’exemple proposé, qui servent de base aux évaluations.

encore faut-il compter avec les besoins nouveaux qui surgiront au cours de l’exercice et qui ne seront que rarement couverts au moyen des annulations de crédits et des plus-values de recettes. Un budget présenté simplement en équilibre court grand risque de se régler en déficit.

. Budget en déficit. Moyens imaginés pour couvrir ou masquer l’insuffisance des recettes. Banqueroute altération des monnaies, retranchements de quartiers, papiermonnaie. Anticipations, aliénations de revenus ; obligations à court terme. Équilibre fictif. Imputation sur les découverts du Trésor. Report d’excédents. Emprunt. Réduction des dépenses. Création de nouvelles recettes.

Si la balance fait ressortir une insuffisance de recettes, le tourment du ministre sera plus ou moins grand suivant les exigences des pays et des époques. En Espagne et en Autriche, on se soucie médiocrement de ce résultat qui est passé à l’état d’habitude. En Angleterre, en Belgique et en Hollande, on attache moins d’importance aux prévisions qu’aux résultats définitifs et on attend, pour aviser aux mesures à prendre, que l’insuffisance prévue soit devenue un déficit réel. Dans d’autres pays la France est du nombre on se résigne difficilement, encore que ce soit quelquefois la méthode la plus sincère et la moins mauvaise, à présenter le budget en déficit. Alors c’est dans le choix des moyens à adopter pour couvrir ou pour masquer l’insuffisance des recettes que le ministre des finances déploie toutes les ressources de son ingéniosité, ou qu’il donne la mesure de la fermeté de son esprit et de la rectitude de ses doctrines.

L’ancien régime trouvait dans la banqueroute’ un moyen héroïque de sortir d’embarras. Sa forme la plus ancienne a été l’altération des monnaies 2. Ensuite son procédé habituel a été la suppression des quartiers de rentes. Les États civilisés ont heureusement renoncé à ces moyens. Tous savent aujourd’hui le prix qui s’attache au crédit, et ils se font un égal scrupule de manquer à leurs engagements et de tromper sur leur marque. Cependant, à une époque voisine de la nôtre, l’abus du papier-monnaie (V. PAPIER-MONNAIE) 1. Saint-Simon, à qui fut offerte en 1715 la présidence du Conseil des finances, jugeait alors la banqueroute, la banqueroute générale et sans exception, préférable tout autre parti. Les raisons qu’il donne à l’appui de son opinion sont curieuses. Elles ne prouvent pas en faveur de la solidité de son jugement.

. Les monnaies furent encore, non pas altérées, mais rehaussées de plus d’un dixième lors de la refonte générale ordonnée sous le ministère de Pontchartrain en 1689, six ans après la mort de Colbert. La refonte opérée par Calonne, en 1786, fut inspirée par des idées économiques plus justes (V. CALONNE).