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des assemblées les intérêts permanents de la nation, il semble plus apte que ces dernières à mettre de l’ordre dans ses desseins et à persévérer dans la politique financière jugée la meilleure. Nous verrons bientôt que les prérogatives du gouvernement en matière budgétaire ne sont nulle part plus étendues, nulle part mieux respectées qu’elles ne le sont en Angleterre, chez le peuple parlementaire par excellence. Les États-Unis, au contraire, sont le seul pays où le budget soit l’œuvre exclusive des assemblées électives. Le secrétaire du Trésor rend annuellement compte au Congrès de l’état des finances ; mais la préparation du budget est confiée à deux comités permanents de la Chambre des représentants : celui des voies et moyens et celui des dépenses. Ces comités, qui offrent une grande analogie avec nos commissions, sont composés chacun de neuf membres désignés par le président de la Chambre. Les ministres peuvent y être appelés, y faire des propositions de vive voix ou par écrit, y fournir les explications ou documents qui leur sont demandés. Mais, en aucun cas, il ne sont admis à défendre leurs idées au Congrès où l’on sait qu’ils n’ont pas entrée. Ils ne communiquent avec les Chambres que par l’intermédiaire des présidents de commissions et le ministre des finances est placé à cet égard dans la même situation que ses collègues. Ce système amène de fréquents conflits : il a, de plus, l’inconvénient de détruire entièrement, en matière budgétaire, la responsabilité du gouvernement. Il peut paraître singulier que le pays constitutionnel où le pouvoir exécutif semble le plus solidement constitué soit en même temps celui où il a le moins d’influence sur l’acte le plus important de la législature. La contradiction n’est cependant qu’apparente. Chez tous les peuples libres, le droit de voter les subsides et d’en régler l’emploi appartient, en principe, aux représentants de la nation. Dans les pays comme l’Angleterre, où le gouvernement parlementaire est dans les mœurs encore plus que dans les institutions, où le ministère n’est qu’une délégation de la majorité préposée à l’exercice du pouvoir, où le chef de chaque parti est alternativement leader de l’opposition ou premier ministre, où le premier ministre est généralement premier lord de la Trésorerie, on conçoit que le Parlement prenne pour guide de ses décisions en matière financière le cabinet qui représente ses idées et qui possède sa confiance. Dans un pays au contraire où l’exécutif est constitué vis-à-vis du pouvoir législatif dans un état d’indépendance à peu près complète, il est naturel que les assemblées électives exercent avec un soin jaloux les prérogatives qui leur sont propres.

Nous avons eu en France, sous la Convention et surtout sous le Directoire, des budgets qui, suivant l’usage américain, étaient établis par les assemblées. On ne peut pas dire que l’application de ce système ait coïncidé avec une période d’ordre financier et de prospérité publique.

Le budget, ailleurs qu’aux États-Unis, est l’œuvre du gouvernement tout entier. Toutefois, c’est le ministre des finances qui joue le rôle principal dans sa préparation. « Chaque année, dit l’article 31 du décret du 31 mai 1862, les différents ministres préparent le budget de leur département respectif. Le ministre des finances centralise ces budgets et y ajoute celui des recettes pour compléter le budget général de l’État ». Ce texte ne donne qu’une idée incomplète des attributions qui incombent au ministre des finances. Il ne se borne pas à recevoir des mains de ses collègues un budget de dépenses tout fait ; il examine et discute leurs propositions et son rôle n’est pas toujours facile, surtout quand il n’a pas, avec le titre de chef du cabinet, la direction effective de la politique. M. Gladstone l’a comparé à un homme qui s’est engagé à travers une forêt épineuse en tenant en équilibre les deux plateaux d’une balance et qu’à chaque pas assaillent des larrons, qui sont ses collègues et ses amis ; son honneur est d’achever son périlleux voyage, en conservant son fardeau intact.

Quand le ministre des finances a déterminé, d’accord avec ses collègues, les besoins des différents services, sa tâche personnelle commence ; il doit faire choix des ressources qui alimenteront son budget. Il se défiera, s’il est sage, de ces programmes ambitieux qui, sous prétexte de progrès, ne tendent à rien moins qu’à bouleverser de fond en comble le système des impôts. Il sait que les grandes réformes ne se réalisent que lentement ; qu’elles exigent une longue suite d’efforts persévérants et que le temps ne ratifie jamais ce qui a été fait sans lui. Il sait aussi que les impôts les moins lourds sont souvent ceux auxquels on est habitué et qui sont en quelque sorte entrés dans les mœurs. Il n’abandonnera pas des ressources connues et éprouvées pour des hypothèses d’une réalisation problématique ; et c’est surtout dans les moments difficiles qu’il s’abstiendra de faire des expériences, souvent aussi nuisibles à la prospérité du pays qu’à l’équilibre du budget. En même temps il aura toujours l’œil ouvert sur les opérations de la fraude et proposera les lois nécessaires pour défendre le produit de l’impôt contre ses manœuvres.