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nous nous sommes approprié au commencement du siècle et que la plupart des autres pays ont adopté après nous. De même, l’expression de voies et moyens que nous employons, à l’imitation des Anglais, pour désigner les ressources du budget se retrouve dans les lettres de convocation de nos anciens Etats généraux. Il semble que l’idée ait suivi le même chemin que lès mots dont on se sert pour l’exprimer.

Si les principes budgétaires ont été appliqués en Angleterre longtemps avant de l’être définitivement en France (V. FINANCES DE L’ANGLETERRE) ce n’est toutefois qu’au dixseptième siècle, lors de la lutte contre les Stuarts que l’idée du budget a véritablement pris naissance chez nos voisins. Longtemps la Couronne avait trouvé dans les revenus de ses vastes domaines les ressources qui lui étaient nécessaires et ensuite, sous les Tudors et surtout sous les Stuarts, méconnaissant l’esprit de la grande Charte, elle avait prétendu tenir d’une institution divine le droit d’établir des taxes par autorité. Les rois de France, au contraire, s’étaient vus de bonne heure obligés de subvenir au moyen de l’impôt à l’insuffisance de leurs revenus féodaux et ils avaient dû, pour lever sur leurs sujets les tailles, aides et gabelles, obtenir le consentement des États généraux (V. ÉTATS GÉ-NÉRAUX). Cette représentation nationale, précaire sans doute, puisqu’elle ne fut jamais régularisée ni constituée, mais réellement traditionnelle, puisqu’elle rattachait son origine aux anciennes Assemblées des Francs, essaya plus d’une fois de mettre de sconditions à son concours. En particulier, les États de 1355 et des années suivantes, obéissant à l’esprit audacieux et à la fougueuse énergie d’Étienne Marcel, réclamèrent et obtinrent le droit, qui leur fut, il est vrai, disputé en fait, de surveiller l’emploi des subsides qui étaient expressément votés en vue de la délivrance du royaume. Ils créaient ainsi, dès cette époque reculée, un véritable budget extraordinaire, un budget de guerre ayant sa spécialité et entraînant pour le gouvernement l’obligation de rendre compte de sa gestion. Plus tard, l’institution de la taille permanente, concédée par les États de 1439, ayant affranchi le pouvoir royal, celui-ci s’abstint de plus en plus de convoquer l’asde la nation dans lequel la Couronne allait être autorisée à puiser pour les besoins de l’État. Le mot budget n’a pas tout à fait en Angleterre le sens que nous y attachons en France. Il ne désigne pas l’acte même destiné à fixer les recettes et les dépenses, mais l’exposé qui est fait par le gouvernement de la situation des finances et du programme qu’il compte suivre. La séance du budget est celle où cet exposé est développé oralement par le Chancelier de l’Échiquier. semblée des trois Ordres et en vint même à établir des taxes par simple édit. Mais, si le principe du consentement de l’impôt par les représentants de la nation, principe qui contient en germe l’idée du budget moderne, était abandonné en fait, jamais il ne fut contesté en droit ; on admettait seulement que la transcription des édits fiscaux sur les registres des compagnies judiciaires suppléait au vote des États. C’est ainsi que l’historien Henri Martin a pu parler avec raison du « vieux droit national du vote libre de l’impôt, toujours transgressé, jamais effacé des cœurs1».

L’Assemblée nationale de 1789 reprit, pour les consacrer définitivement, les traditions des anciens États. Ses doctrines se trouvent résumées dans les articles que la fameuse déclaration des Droits consacre aux contributions publiques. Il n’est pas sans intérêt de transcrire ici ces maximes dont la rédaction claire et précise porte l’empreinte des travaux économiques du XVIIIe siècle et qui, si elles ne contiennent pas toute la théorie du budget, formulent du moins quelques-unesde ses lois essentielles.

ART. 13. Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés.

ART. 14. Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. ART. 15. Aucun impôt ou contribution en nature ou en argent ne peut être levé, aucun emprunt direct ou indirect ne peut être fait autrement que par un décret exprès de l’Assemblée des représentants de la nation. Malgré la proclamation de ces principes,. les Assemblées de la révolution ne décrétèrent point de véritables budgets ; elles n’établissaient le plus souvent aucun lien entre le total des crédits qu’elles accordaient. pour l’exécution des services et l’ensemble des impôts dont elles autorisaient la perception.

. L’historien du quinzième siècle, Philippe de Comines, rappelle que les États de 1483 « octroyèrent ce qu’on leur voulut demander et ce qu’on leur montra par escrit estre nécessaire pour le fait du roy, sans rien dire à l’encontre ». Et il ajoute « Est-ce sur de tels subjects que le Roy doit alléguer privilège de pouvoir prendre à son plaisir, qui si libéralement lui donnent ? Ne serait-il pas plus juste envers Dieu et le monde de lever par cette forme que par volonté désordonnée ? Car nul prince ne peut autrement lever que par octroy, comme dit est, si ce n’est par tyrannie ».