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civile, les bons marchands, les bour- role, et de vagues aspirations devinrent un litaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles ». Le régime du despotisme n’a profité à aucune q époque aux classes moyennes. le

Et pourtant, si la bourgeoisie eut beaucoup d à souffrir durant la longue et désastreuse pé- d riode qui remplit la fin du règne de Louis XIV, 1’1 ce règne ne marque pas moins son avènement aux grandes affaires, aux grands emplois, à la considération sociale dont celle du prince était la règle. Nobles ou non, les maréchaux c passèrent avant les ducs ; les ministres nés c -tans la bourgeoisie n’eurent au-dessus d’eux s’ que les princes du sang et leurs femmes fu- r, rent admises à la table du roi. Le dernier des e grands seigneurs, le duc de Saint-Simon, s’en c indigne. Il croit flétrir d’un mot le règne de d Louis XIV : règne de vile bourgeoisie, dit-il. Traversons rapidement l’époque de la ré- g gence. L’événement le plus considérable qui p la signale au point de vue économique est le système de Law. Le système de Law, qui d’ail- r leurs ruina autant de familles qu’il en enri- c chit, donna une nouvelle énergie à l’esprit r d’entreprise et jeta la spéculation dans le commerce lointain. Une association se forma r chargée d’exploiter nos possessions lointaines de l’Amérique sous le nom de compagnie d’Occident et compta au nombre de ses direc- t teurs le régent lui-même. L’éclat des grandes c fortunes bourgeoises rivalisa avec celui des i fortunes aristocratiques, ou le dépassa. c Au dix-septième siècle le mérite avait été un honneur, il fut une puissance, et la pre- c mière de toutes, au dix-huitième. C’est du sein de la bourgeoisie que sortirent ces phi- 1 losophes qui travaillèrent de concert à l’émancipation de la pensée humaine. L’économie 1 politique devait jouer un grand rôle dans cette philosophie qui se montrait préoccupée des droits et des intérêts terrestres de l’humanité, de même que celle qui l’avait précédée avait paru absorbée dans l’étude du monde purement intellectuel, de l’âme et de Dieu. Quel fut le caractère de cette économie politique qu’on a appelée bourgeoisie ? Son caractère le plus saillant est précisément l’universalité de son principe. L’idée de justice appliquée aux transactions, et placée dans la liberté égale pour tous, tel fut comme le drapeau de l’école des physiocrates. Pas un seul de ces publicistes qui n’ait en vue la masse tout entière du peuple. Pas un qui ne fasse servir la science à la destruction de ces privilèges qùi n’étaient plus que des entraves. Avec les économistes du dix-huitième siècle, le vieil esprit de liberté en matière d’industrie et de commerce, que nous avons vu s’annoncer-de bonne heure, reprit la parote, et de vagues aspirations devinrent un corps complet de science, la formule nouvelle d’un dogme social. Quesnay fut le premier qui l’exposa régulièrement. Turgot, qui porta les vues de la nouvelle science au pouvoir, dut glorieusement échouer dans cette œuvre de régénération commune, emportant les regrets comme il avait eu les sympathies de l’immense majorité de la bourgeoisie éclairée.

Le sophisme de l’esprit de parti consiste à confondre la bourgeoisie tout entière avec un certain nombre d’intérêts privilégiés qui s’étaient incorporés aux abus de l’ancien régime. Il prouve l’égoïsme de ceux-ci et il en tire une conclusion générale et hostile contre la bourgeoisie prise en masse. Rien de plus contraire à la vérité que cette déduction. L’esprit général des classes bourgeoises survécut à ces catégories qui s’étaient parquées dans leurs intérêts solitaires et finit par les vaincre. Les privilèges bourgeois eurent pour adversaires théoriques des publicistes bourgeois et tombèrent sous les coups non de ce qu’on appelle le peuple, mais de la bourgeoisie elle-même. Ce fait est capital et répond aux assertions de l’histoire démagogique. La bourgeoisie réunie en assemblée constituante fit-elle autre chose en effet en 1789 que proclamer la fusion des classes et des intérêts sans nulle exception ? A la place deces libertés partielles constituées en monopoles, elle mit la liberté générale. L’abolition des jurandes et des maîtrises fut une mesure qui intéressait spécialement la masse populaire comme l’égale admissibilité à tous les emplois. C’est par des mains bourgeoises que les privilèges bourgeois furent détruits et la condition générale de la nation élevée, améliorée. Nous n’avons pas à écrire l’histoire économique de la bourgeoisie depuis 1789 (V. ÉcoNOMIE POLITIQUE) elle ajouteraitpeu auxidées. que nous venons de rappeler. Elle n’est, en effet, depuis cette époque d’affranchissement, que le dévelop- pement des principes qui furent posés alors. Est-ce à dire que toute trace de monopole ait disparu dans le régime de justice et de liberté qui a pris la place de l’ancien système ? Non assurément. Mais estce à la bourgeoisie qu’il convient de les imputer, à ces classes moyennes dont la tota- < lité fut loin d’être admise même au droit électoral sous les gouvernements successifs de la restauration et de la royauté de 1830 ? Lorsque l’économie politique réclame contre les lois qui maintiennent le système protecteur, lorsqu’elle demande la liberté des échanges, elle s’élève contre une très faible