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BOURGEOISIE 216 BOURGEOISIE

seizième siècle elle paraisse généralement affranchie de la rude et humiliante condition du servage, la population des campagnes continua de souffrir, sans trêve et sans relâche, jusqu’à son entière émancipation par la révolution française. C’est à cette gent taillable et corvéable à merci et miséricorde que s’appliqueront encore, dans une époque avancée, les plus sombres descriptions de l’abrutissement et de la misère, tant chez les moralistes comme La Bruyère, que chez les économistes comme Boisguilbert et Vauban.

Tout sert au mouvement une fois imprimé, quand il a son origine, non dans une aspiration désordonnée vers l’impossible, mais dans le sentiment permanent d’un droit vrai et dans une activité soutenue, sensée, régulière. Quoi de plus étranger en apparence au mouvement économique, au progrès de la bourgeoisie, que les croisades, et dans leurs causes immédiates, et dans leur inspiration générale, et dans les prévisions de ceux qui y prirent part ? Aucun événement pourtant n’eut une influence plus étendue et plus profonde sur le développement du tiers état.

Contestée par les préjugés anti-religieux des historiens du dernier siècle, cette heureuse influence des croisades sur la civilisation générale, et en particulier sur le progrès de la richesse, n’a plus besoin d’être établie. Les écrivains les plus opposés de vues en tombent d’accord. Faut-il rappeler comment, ruinés par les fêtes, les brillants équipages et la rage du jeu, la plupart de ces preux chevaliers, partis pour la terre sainte, se trouvèrent, au retour, littéralement criblés de dettes ? De là, pour eux, l’impossibilité de retirer des mains du bourgeois les biens qu’ils lui avaient engagés, ou même la nécessité de nouveaux engagements. Le clergé, placé dans la même situation vis-à-vis des biens féodaux remis entre ses mains, se trouvait engagé à soutenir sa cause par une communauté d’intéréts. Si le seigneur jugeait commode, sans payer ses dettes, de reprendre ses biens, la royauté, heureuse d’avoir une raison si juste de le battre en brèche, prêtait la main à l’exécution du contrat. Ainsi fut entamée la propriété féodale. Quand elle serait demeurée intacte, elle n’en eût pas moins rencontré une compétition puissante dans les accroissements de sa rivale, qui recevait de l’Orient, pour ainsi dire, mille secours inattendus. Des sources nouvelles de production agricole et manufacturière, de nouveaux débouchés dans des ports de mer, les premiers du monde par l’importance, une nouvelle cause de sécurité dans la répression de la piraterie en commun, de nouveaux moyens de circulation dans les banques destinées à répondre et à contribuer siècle elle paraisse généralement au nombre croissant des transactions, voilà quelles furent les principales conquêtes que au nombre croissant des transactions, voilà quelles furent les principales conquêtes que l’industrie et la bourgeoisie durent aux croisades. La bourgeoisie française, soit par la production directe, soit par l’échange, y trouva un inépuisable aliment d’activité. La noblesse avait eu ses croisades religieuses, elle eut ses croisades commercantes. Il ne lui manquait plus que des blasons pour qu’elle marchât, du moins dans sa représentation la plus élevée, presque l’égale de la noblesse. Philippe le Bel les lui vendit. Avec le loisir que procure la richesse, elle eut des lumières et elle prit des mains du clergé le dépôt de la science. Avec les lumières et grâce à la vénalité des charges, elle s’empara, par le moyen des parlements sortis de son sein, du dépôt de la loi. Avec la loi, le savoir et la richesse, il n’était pas possible qu’elle ne se fit un jour la place qui lui était due ; ses progrès économiques, avouons-le, ne lui furent, pour y parvenir, ni d’un médiocre encouragement au quatorzième siècle, ni d’un médiocre secours à la fin du dix-huitième. Tandis que les communes étaient en voie de fonder la bourgeoisie comme classe et que les croisades contribuaient à la développer, un fait contemporain et auxiliaire, l’organisation des corporations par saint Louis, servit à lui donner une existence plus solide, en partie à la constituer centralisation en raccourci, qui substituait la hiérarchie à l’anarchie, une division du travail régulière, quoique à bien des égards vicieuse, au hasard d’une répartition qui n’eût pu, dans ces temps de trouble profond, s’opérer convenablement d’elle-même, conformément aux lois de l’économie politique, la corporation du treizième siècle produisit plus d’un effet salutaire. Malgré les gênes nombreuses qu’elle imposait à l’individu, elle lui donna plus de réelle liberté et de sécurité qu’il n’eût pu en espérer sans elle sous un régime de désordre universel et de tyrannie capricieuse. Les villes devinrent comme de vastes manufactures où chaque métier fit sa tâche, et ne fit qu’elle seule. Une certaine émulation en même temps qu’un certain concert s’établit entre les divers corps de métiers. Réunis dans les mêmes quartiers, les artisans travaillèrent sous les yeux du consommateur. Le scandale des fraudes qui indignaientle saintroi disparut en très grande partie. La bourgeoisie, dans une mesure considérable, dut à la corporation des habitudes d’économie, de persévérance au travail. Les ouvriers y trouvèrent des moyens de résistance à l’oppression et des signes de ralliement. Le tiers état industriel et commerçant eut ses syndics, ses chambres de discipline, ses conseils armée disciplinée du travail, il