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si on l’établit sur des produits clas- des sous-produits toxiques, ont l’impôt, si on l’établit sur des produits classés généralement parmi les denrées de première nécessité, il portera presque immanquablement à la fraude et causera par là une certaine dégradation morale qui vaut d’être notée au passage. Signalons, à ce propos, une singularité de notre législation, qui a résisté comme tant d’autres à des efforts répétés. En 1816, sous un prétexte d’ordre social, on décida que les vins débités au détail payeraient une taxe élevée (15 p. 100 ad valorem). Le législateur voulait prévenir par là les abus de cabaret ; il n’a réussi qu’à taxer lourdement les couches les plus pauvres de la population, sans mettre un obstacle appréciable aux habitudes d’ivrognerie. C’est là un exemple assez curieux de l’insuffisance de l’action administrative en matière de réforme sociale. L’abrogation de cette disposition maladroite est indiquée parmi les réformes les plus urgentes. Peut-être favoriserait-on, en la faisant disparaître, l’importation en France d’une combinaison fort recommandable, qui se pratique couramment

en Autriche. Là, de grands propriétaires récoltants ouvrent dans les villes des débits où ils vendent à emporter et au comptant une boisson saine et franche, à prix modéré. La consommation du vin de bonne qualité est mise ainsi à la portée des familles ouvrières, au grand détriment du cabaret. Tout le monde y gagne, consommateurs et producteurs. Chez nous, le fisc entrave la vente des boissons alimentaires (nous verrons bientôt un autre exemple du même genre en parlant de la bière) ; ailleurs, des particuliers avisés en facilitent la consommation. C’est là un bon exemple à suivre.

L’administration devra donc éviter en principe toutes les mesures capables de gêner sérieusement et de restreindre la consommation des boissonsalimentaires. Par malheur, ces boissons deviennent elles-mêmes, aujourd’hui, trop souvent dangereuses, par l’effet des falsifications et des mélanges qu’on leur fait subir. A ce point de vue, un service de contrôle au moins facultatif sur la qualité est désirable.

En second lieu viennent les boissons alcooliques, dont l’usage peut être utile dans certains cas déterminés, mais dont l’abus constitue sûrement l’un des dangers sociaux les plus graves. Ce danger est resté longtemps contenu dans des bornes assez étroites, parce que le commerce n’offrait guère au public que des alcools relativement chers. Mais depuis que la science a découvert des procédés industriels de distillation des matières amylacées, des alcools d’abord à bas prix, ensuite souvent débarrassés incomplètement des sous-produits toxiques, ont envahi la consommation. Dès lors l’usage même des eaux-de-vie communes est devenu dangereux, et l’abus amène un empoisonnement qui trouble assez vite les facultés mentales du buveur, au point de le conduire au crime, à la folie, à la destruction prématurée. Voici à ce sujet quelques indications d’un intérêt frappant.

La fabrication connue des alcools allait, en , àprès d’un million d’hectolitres à 100° ; en 1885, elle avait doublé. L’impôt étant, pour les mêmes dates, de 60 francs et 158 francs par hectolitre, le prix moyen de vente avait cependant baissé de 205 francs à 203 francs l’hect. La consommation moyenne passait dans le même temps de 2 litres par tête à près de 4 litres (3 1. 85). Les condamnations pour ivresse publique, punies par application de s la loi de 1873, montaient de 60,000 en 1873 à 67,000 en 1884 (96,000 en 1875 ; peut être les complaisances électorales ont-elles contribué, plus que les idées de tempérance, à rét duire ce chiffre formidable). Le nombre des cas d’aliénation mentale amenés par l’abus de l’alcool était en 1861 de 331, et en 1885 de e 1,732. Les suicides par suite d’alcoolisme se a chiffraient en moyenne par 137 dans la pét riode 1836-1840, et par 868 en 1885. Les accidents dus à l’ivresse alcooliques montaient e de 200 à 538 durant la même période. Rien ne saurait, mieux que ces quelques chiffres, montrer l’étendue et l’imminence du danger. it Ajoutons-y cependant un dernier trait. En it Angleterre, les compagnies d’assurances sur la vie estiment que l’abstinence habituelle n des spiritueux permet à ceux qui l’observent de compter sur une existence moyenne plus 1- longue de six ans et demi environ que la moyenne ordinaire ; aussi on leur accorde a- des conditions de faveur. Cette combinaison est le fruit d’une observation prolongée et r- repose sur des intérêts précis ; elle nous et apporte un témoignage décisif (V. le mot SPIRITUEUX).

le II semblerait, après cela, que des conclusions té tout à fait contraires aux précédentes doivent venir d’elles-mêmes à l’esprit, et que le o- régime fiscal des alcools pourrait s’établir r- efficacement sur des bases propres à en faire s- une sorte de digue opposée à l’abus de ces es boissons dangereuses. Ce serait avoir trop ps de confiance dans la puissance des mesures ce administratives. L’exagération des taxes surlie excite la fraude, et celle-ci alimente le vice des alcooliques ; aussi est-ce là un moyen très imparfait de remédier au mal. D’autres procédés du même ordre ont été proposés ix, ou essayés. L’Etat, dit-on notamment, demt vrait restreindre le nombre des débits (cela