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péages ou ponts et chaussées de cette ville et de la banlieue », alors fort étendue, en vingtdeux titres. Ces statuts ont été blamés comme contraires aux saines règles de l’économie politique par de Sismondi ; mais cette critique paraît injuste quand il s’agit de juger les institutions du XIIIe siècle, dans cette lutte de la royauté, de la féodalité et des communes. Hénault les a, au contraire, proposés pour modèles aux administrateurs français. Les uns reprochent à ces statuts trop de sévérité dans les amendes, d’autres trop d’autorité laissée à ces si nombreuses corporations que l’ordonnance de Turgot essaya vainement d’abolir en 1776 et qui n’ontperdu leurs privilèges qu’en 1791. Ils sont, avant tout, un monument très curieux de l’état des arts, des mœurs et de la législation à leur époque on les met à côté des Établissements de Saint Louis, quoi qu’ils aient un caractère moins élevé de législation mais ils sont plus impératifs. Ils contenaient, ou plutôt on y a interpolé, plusieurs fragments d’ordonnances royales, qu’on retrouve dans les Ordonnances du Louvre. E. R.

BOISGUILBERT (Pierre LE PESANT, sieur DE), né à Rouen en 1646, mort en 1714. Il acquit en 1690 la charge de lieutenant général civil au bailliage de cette ville et la conserva jusqu’à sa mort.

Après avoir publié quelques traductions, il s’applique dès 1676 à l’étude de l’agriculture et du commerce et ne tarde pas à découvrir les causes principales de la misère qui désole alors la France. Se flattant d’avoir trouvé le moyen de mettre fin a tant de maux, il conjure successivement Pontchartrain, Chamillart et Desmarets de réaliser au plus tôt ses projets de réforme, dont l’effet lui semble devoir être immédiat et infaillible. En quinze jours et «par un travail de trois heures, sans rien déconcerter ni mettre quoi que ce soit au hasard », il se fait fort de fournir les 80 millions qui manquent au Trésor et de rétablir aux particuliers le double ou le triple de ce qu’ils paieront en plus au roi.

Il revient sans cesse à cette idée et la développe sous tontes les formes en faisant valoir des considérations ingénieuses, souvent profondes et d’une haute portée économique. Mais son opiniâtreté le rend

importun et l’on peut dire qu’il pousse la confiance en lui-même jusqu’à la suffisance. Sa correspondance avec Chamillart permet d’ailleurs de juger le singulier caractère de ce défenseur des intérêts généraux qui ne craint pas de solliciter des faveurs personnelles. Elle montre encore que si le contrôleur général reconnait, en principe, la et justesse de ses théories, il recule devant t- la difficulté des changements trop brusques le qu’elles auraient entraînés. Ainsi s’explique ie le peu de succès de tant et de si pressantes démarches.

s- Là ne se borne pas l’ambition de Boisguilla bert. Suivant sa propre expression, il se cons. sidère comme «l’avocat des peuples, de tout ce qu’il y a de commerçants et de laboureurs es dans le royaume », et compose le Détail de té la France (1695), puis le Factum (1706), véritaté blepamphlet qui, bientôt suivi d’un Suppléte ment, est proscrit par arrêt du Conseil privé it du roi et vaut à son auteur un exil de six i- mois en Auvergne.

Dans ces deux ouvrages, Boisguilbert présente le tableau le plus complet et le plus saisissant des funestes conséquences des guerres it continuelles et du désordre des finances. La cause de la diminution des biens y est indiquée avec netteté la consommation est ruinée par la rapacité des traitants, les affaires extraordinaires, l’incertitude et l’injustice de es la taille, l’arbitraire des aides, les coûteuses formalités des douanes intérieures et extérieures, les abus et les fraudes des commis. ), Suivant lui, le remède consiste bien plus it dans le mode de répartition et de recouvrement des impôts que dans la diminution de leur nombre ou de leur quotité. Il suffit de rendre la taille générale et proportionnelle et de donner toute liberté au commerce ; car, l- en raison de l’allègement des charges, les jachères seront rendues à la culture, les vignes seront replantées, la consommation é des grains, bestiaux et liqueurs augmentera, et avec elle le revenu de chacun, c’est-à-dire l- les ressources du roi.

s Possédé du désir de frapper et de cone vaincre ses lecteurs, Boiguilbert ne s’arrête e pas aux abstractions de la théorie. Comme s son style, son esprit est plus original et plus t puissant que correct et méthodique. Aussi ne faut-il point rechercher dans ses écrits, r sauf peut-être dans ses opuscules sur les e grains et la nature des richesses, un exposé raisonné des précieuses découvertes économiques qu’il a, pour ainsi dire, signalées en t passant.

La science ne lui est pas moins redevable d’avoir battu en brèche le vieux préjugé qui faisait alors des métaux précieux l’unique richesse, en établissant que le rôle de l’argent se réduit à faciliter les échanges. La. richesse, pour l’auteur du Détail, est le pouvoir de satisfaire les besoins de la vie ; or, la nourriture étant la première nécessité de l’existence, il en résulte que « la terre, que l’on compte pour le dernier des biens, donne le principe à tous les autres, et que ce sont.