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bservations ci-jointes. C’est cer- Dans un Mémoire conservé aux Archives, dans les observations ci-jointes. C’est certainement pour répondre de mon mieux à

l’honnêteté que vous mettez vis-à-vis de moi et à votre confiance. Je vous réponds comme je ferais à mon frère. Je n’ai qu’une inquiétude, comme vous le verrez ; je la fonde précisément sur votre zèle pour le bien. Je vous exhorte à mettre dans votre marche toute la lenteur de la prudence. J’irais jusqu’à vous inviter, si cela vous était possible comme à moi et si vous n’aviez pas depuis longtemps pris couleur, à masquer vos vues et votre opinion vis-à-vis de l’enfant que vous avez à gouverner et à guérir ».

Les conseils de Bertin ne furent pas écoutés. Tant de prudence et des temporisations aussi diplomatiques n’étaient pas du goût du grand ministre. Turgot voulait enlever ses réformes de haute lutte. Il se heurta contre la coalisation des intérêts. Il fut abandonné par le roi et c’est de la main même de Bertin qu’il reçut l’ordre de se démettre de ses fonctions.

Tout en favorisant Turgot, dont les projets lui paraissaient une œuvre de haute justice, Bertin désirait ne pas se compromettre absolument avec lui. Mais Necker ne lui pardonna pas une collaboration même aussi discrète et le força de quitter les affaires. L’effort lent, avec l’esprit de suite qui le caractérisait, lui avait mieux réussi pour développer l’agriculture et la faire sortir de sa routine séculaire. Lorsqu’il avait, en 1763, quitté .le contrôle général, il était resté néanmoins dans le ministère et, comme membre du conseil et ministre de la maison du roi, il s’y était taillé un département spécial, moins en vue que les finances ou les affaires étrangères, où il avait aussi passé. Il avait réuni dans ses attributions l’agriculture et les haras, l’industrie, le commerce, les mines, les voitures, la navigation, les loteries, les collections et dépôts de chartes, etc., et il put, dans ces conditions, se maintenir en place pour ainsi dire indéfiniment, avant et sous Maurepas, et exercer une action très sérieuse sur les progrès économiques du pays pendant les dernières années du règne de Louis XV et les premières du règne Louis XVI.

Les États de Bretagne avaient fondé à Rennes en 1757, sur le Rapport de Gournay et sur la proposition du duc d’Aiguillon, une société d’agriculture qui avait été approuvée par le roi. Le 22 avril 1760, Bertin adressait aux intendants une circulaire pour les inviter à établir des sociétés sur le même modèle et il leur communiquait, pour qu’ils les imitassent, les travaux de la société d’agriculture de, Bretagne.

Dans un Mémoire conservé aux Archives, qui ne porte pas de date, mais qui paraît avoir été rédigé entre 1769 et 1774 dans les bureaux de Bertin, on rappelle les efforts tentés dans cet ordre d’idées en 1760 et 1761. Le ministre avait eu le soin, pendant la guerre de Sept ans, de faire répandre des livres sur l’amélioration de la culture des terres et sur l’espèce d’abandon où l’on avait laissé l’agriculture depuis un siècle. « Ces ouvrages, disait l’auteur du Mémoire, firent beaucoup de sensation et le moment arriva d’en profiter. Le plan que l’administration se proposa fut, en premier lieu, d’encourager les propriétaires des terres et les fermiers à faire des efforts pour augmenter leurs travaux et les produits des biens-fonds, soit en répandant plus d’engrais sur les terres par la multiplication des bestiaux, soit en défrichant les terres incultes dont l’étendue formait alors des déserts dans les plus belles provinces du royaume. »

Ce plan réussit autant qu’on pouvait l’espérer. On parvint successivement, et dès l’année 1761, à former dans vingt et une généralités dix-huit sociétés d’agriculture, dont les membres ne s’occupèrent plus que du soin d’encourager les peuples à la culture et par leurs leçons et encore plus par leurs exemples1 ».

C’est à Bertin que l’on doit la fondation de la première école vétérinaire. Elle fut créée à Lyon par un édit du 5 avril 1761 et mise sous la direction de Bourgelat. Elle prit en 1764 le titre d’école royale vétérinaire et ses élèves diplomés reçurent le privilège exclusif d’exercer la médecine vétérinaire. Bertin ne s’arrêta pas là, et en 1766 il ouvrit une seconde école vétérinaire dont il confia la direction au même Bourgelat et qu’il installa près de Paris dans le château d’Alfort acquis pour cet objet au prix de 30 000 livres2.

C’est encore lui qui acquit des fermiers généraux l’ancienne manufacture de céramique de Vincennes, transportée par eux à Sèvres, pour en faire la manufacture royale de porcelaine de Sèvres.

Il n’est pas d’ailleurs de progrès industriel ou agricole auquel Bertin n’ait concouru, ni un homme distingué auquel il ait marchandé son appui pendant les trente années qu’il a passées dans les plus hautes fonctions publiques. Il est mort à soixante-treize ans pendant l’année la plus terrible de la Révolution, après avoir vu s’écrouler le siècle dont il croyait possible de corriger à force 1. Archives nationales, k, 906. . Eloge de Bertin, par M. Heuzé. Mémoires de la Société nationale d’agriculture de France, t. CXXXII, 1888, p. 207.