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épandre l’instruction parmi les colons « Ne serait-ce pas un vain projet dans de répandre l’instruction parmi les colons anglais.

Il renonça à la riche sinécure qu’il venait d’obtenir en Irlande et qui devait lui rapporter 1 500 livres par an, pour se consacrer tout entier à son projet. Swift exposait d’une façon plaisante et pourtant sympathique, à lord Carteret, lord lieutenant d’Irlande, l’état d’esprit de son ami. « Le cœur de Berkeley sera déchiré, si on ne lui enlève sa deanery et si on ne lui accorde en échange la somme exorbitante de 100 livres par an â Bermuda ».

Berkeley gagna à ses idées tous ceux qui vinrent en rapport avec lui. Warton raconte que quelques hommes d’esprit l’avaient invité dans l’intention de se moquer de lui. Après l’avoir entendu, ils partagèrent son enthousiasme et s’écrièrent qu’ils voulaient partir avec lui sur-le-champ.

Il plaida sa cause auprès du roi, qui lui accorda une charte pour l’université. Le premier ministre promit un don de 20000 liv. Le parlement émit un vote favorable. Berkeley s’embarqua pour l’Amérique. Une fois parti (1728), tous les engagements furent oubliés. Il attendit trois ans inutilement la réalisation des promesses qui lui avaient été faites. Il finit par revenir en Europe. II fut nommé en 1634 évêque de Cloyne et il resta en Irlande jusqu’à la veille de sa mort. Il s’intéressa vivement à l’état du pays. L’extrême misère qu’il vit autour de lui le frappa péniblement et il se préoccupa des remèdes.

Bien que d’origine anglaise et protestant, Berkeley était irlandais de cœur. « C’est le premier protestant éminent qui déclara son amour pour tous ses concitoyens. » Par sa tolérance, il était bien en avance sur ses contemporains. Il proposa l’admission des catholiques à l’université de Dublin sans les obliger à assister au service religieux. Il rappelait l’exemple des jésuites de Paris, qui acceptaient les protestants dans leur collège. « Un projet pour le bien-être de la nation ne devrait-il pas comprendre tous les habitants

? N’est-ce pas un effort insensé de projeter 

la prospérité de la noblesse protestante à l’exclusion de la masse des indigènes ? «N’est-ce pas un projet mal raisonné d’encourager le bien de la communauté, en restreignant les droits d’un e partie de la nation ? » Berkeley s’élève également dans le Querist contre l’erreur généralement répandue que l’or et l’argent sont larichesse parexcellence. « Une abondance de toutes les choses nécessaires à la vie est la vraie richesse. Ce n’est pas l’or, mais l’industrie qui fait ia prospérité d’un pays.

« Ne serait-ce pas un vain projet dans une nation d’espérer s’enrichir en prohibant l’exportation de l’or et de l’argent ?

« Peut-il y avoir une plus grande erreur que de mesurer la richesse d’une nation par l’or et l’argent ?

« Les nègres, au milieu des sables d’or d’Afrique, ne sont-ils pas pauvres et dénués de tout ?

« L’industrie d’un peuple n’est-elle pas la première cause de la richesse ? N’est-ce pas elle qui transforme en richesse la terre, l’argent, qui n’ont de valeur que comme moyens et motifs à l’industrie ? « Si le travail humain est la vraie source de la richesse, ne s’ensuit-il pas que la paresse devrait être découragée dans un état sage ? »

Pour combattre la paresse, le meilleur moyen c’est de créer des besoins nouveaux. « Si nos paysans étaient habitués à manger du bœuf et à porter des chaussures, ne seraient-ils pas plus industrieux ? « Un peuple, qui se serait procuré en abondance les objets nécessaires, n’étendrait-il pas son industrie à de nouveaux arts et à de nouvelles branches de production ? » A l’époque où Berkeley écrivait le Querist (1735-1737), l’industrie irlandaise avait été tuée par la jalousie anglaise. « L’Irlande, disaitSwift, estleseulroyaumedont j’ai jamais entendu parler ou dont j’ai jamais lu l’histoire, qui fût privé d’exporter ses produits nationaux partout où il lui plairait. » Les droits sur les lainages irlandais étaient quarante fois plus élevés que sur les lainages anglais. Les droits sur le cuir et sur les toiles imprimées étaient de 10 p. 400 en Angleterre, en Irlande ils étaient de 65 p. 100. Les Irlandais ne pouvaient exporter en Angleterre ou dans les colonies les produits dont les Anglais craignaient la concurrence ; il leur était interdit de les exporter à l’étranger. Berkeley ne s’élève pas avec l’éloquence passionnée de Swift contre ces lois monstrueuses. Il les blâme, il voit même qu’elles sont mal fondées, que l’intérêt bien entendu de l’Angleterre est conforme à l’intérêt de l’Irlande et que c’est à tort, à un point de vue purement égoïste, que les Anglais frappent l’Irlande. Mais il avait peu d’espoir de convertir les Anglais.

Il se consacre à une autre tâche, c’est de persuader à ses concitoyens de s’adonner à d’autres industries qui n’exciteront pas la jalousie anglaise. Il recommande les dentelles, les tapis, les broderies. « Le meilleur moyen de développer ces industries, dit-il, c’est l’étude du dessin. La France et la Flandre auraient-elles obtenu de l’Angleterre tant