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la peine, de sorte que, en dernière analyse, son activité n’a pour but que de lui procurer le plaisir et de lui éviter la peine. Mais, comme le plaisir et la peine sont liés l’un à l’autre, comme aucun plaisir ne se peut acquérir sans efforts, et comme tout effort est une peine, il en résulte que l’activité humaine a pour but de procurer à l’homme, au prix du moindre effort, le plus de plaisir possible. L’excédent du plaisir sur la peine dans le travail humain et, par conséquent, l’excédent du plaisir sur l’effort, est la mesure de l’utilité.

Et d’autre part, comme l’effort a pour but non seulement d’acquérir le plaisir, mais d’éviter la peine, l’excédent du plaisir procuré sur la peine évitée par l’effort est aussi une mesure, la mesure en quelque sorte négative de l’utilité. Le travail, par exemple, est, en lui-même, un effort et une peine. Mais il a pour but et il a pour effet, établi par l’expérience, d’éviter la faim, qui est une peine plus dure, et la misère, qui est une pire souffrance la mesure de l’utilité du travail est donc la différence entre la peine exigée par l’effort et la peine attachée à la misère et à la faim.

Du même coup, la nécessité du travail est démontrée en ce qui concerne l’individu considéré isolément. Mais l’homme ne vit point à l’état isolé ; il ne vit qu’à l’état social. Chaque individu est une cellule d’un corps sur chaque autre cellule duquel chaque plasir et chaque peine se repercutent. Il peut, à la vérité, se faire que, dans l’effort vers le plaisir, quelque peine soit causée à quelque individu. La mesure de l’utilité sociale du travail sera l’excédent de la somme des plaisirs procurés et de la somme des peines évitées sur la somme des peines causées et à celui qui faitl’effort et à ceux qui en souffrent. Mais cette mesure de l’utilité. du travail est aussi la mesure de la moralité, car tout plaisir, d’après Bentham, est, en même temps, un bien, et toute peine un mal moral. Il suffit de changer un peu les termes et de dire La mesure de la moralité sociale du travail est l’excédent de la somme du bien réalisé et de la somme du mal évité sur la somme du mal que le travail a causé ou qu’il n’a pu détruire. Tel est le système de Bentham ; c’est une sorte de philosophie économique de la concurrence vitale, philosophie d’un caractère hautement positiviste et pratique. Le nom que porte ce système exprime d’un seul mot son objet : l’utilité, et cet objet s’explique et se développe en une formule encore brève et précise : « le plus grand bien du plus grand nombre ».

Bentham a imposé le nom et trouvé la forle, de sorte que, en dernière analyse, mule ; c’est en quoi le système utilitaire est tivité n’a pour but que de lui procurer le sien. Il ne l’a pas créé de toutes pièces mule ; c’est en quoi le système utilitaire est le sien. Il ne l’a pas créé de toutes pièces ; il n’est pas le premier qui ait pensé quel’utilité commune devrait être le commun

but de tout effort humain. Il se recommande lui-même de Priestley, de Beccaria et d’Helvétius. Il eût pu se recommander aussi du chancelier Bacon, pour ne pas remonter au delà du seizième siècle. Mais, ce que d’autres avaient pensé vaguement, Bentham l’a pensé et dit formellement. Ce n’est plus, ni dansl’esprit ni dans la lettre, les « à peu près » du de Augmentis « Usui et commodis hominum consulimus » ; ce n’est plus le germe, c’est l’être organisé. Il ya entre Bacon et Bentham la différence qu’il y a entre une doctrine, ou plutôt entre une méthode et un système. Essayez d’exprimer en un mot la tendance générale des ouvrages de Bacon ; vous n’en trouverez qu’un le baconisme ou le baconianisme, éveillant l’idée de la méthode inductive et expérimentale, mais rien de plus, rien quant à l’objet. Au contraire, fermez un livre de Bentham une seule idée, un seul mot vous poursuivent l’utilité, l’utile. On dirait que Bentham n’a pensé que cela. Vous saisissez en ce point le nœud de son œuvre, l’âme de sa vie. Ce n’est presque plus Bentham, c’est [’utile, et vous ne dites pas le Benthamisme, mais l’utilitarisme, ou l’utilitarianisme. D’ailleurs encore, l’utilitarianisme est plusqu’une doctrine ou une méthode, c’est un système, parce que Bentham ne cesse de sepréoccuper de l’application, de la réalisation pratiques. Jusque dans sa vieillesse, il rêvera de prisons et d’écoles modèles ; il donnera des conseils à la Convention ; il demandera à se charger de l’éducation du petit-fils de Méhémet-Ali. « Le plus grand bien du plus grand nombre », il ne le recherche pas seulement en théorie, comme postulat. Il le veut en acte et par des moyens concrets. Il désirerait être le législateur universel pour être le bienfaiteur universel. Il voudrait rendre obligatoires et inscrire dans la loi l’amour de chacun pour tous et le bonheur de tous par chacun. Il voudrait rédiger tous les codes, pour être sûr d’en établir un le code du bienêtre des hommes.

C’est ce qui défend Bentham et le sauve de l’accusation d’égoïsme qui a été portéecontre lui et contre son système. On a voulu. voir dans l’utilitarisme une morale proprement dite, et on en a conclu que c’est une morale « antimorale », la morale de l’intérêt. Il y a là une équivoque, car l’intérêt, que. Bentham présente comme notre unique mobile, n’est point l’intérêt particulier de l’agent, mais bien l’intérêt de l’espèce. Cet