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é que de nos jours : artis mille species, pect des arts anciens et qui, en les faisant Le potier de l’Attique, l’imagier du comprendre, ont créé cette légion de cher- <le sûreté que de nos jours : artis mille species, ars una. Le potier de l’Attique, l’imagier du moyen âge, l’artisan de Florence puisaient, à leur humble manière, dans le même trésor d’idées et de sentiments que ceux qui décoraient de leurs grandes œuvres le Parthénon, le Campo Santo ou le Baptistère. C’est qu’il y avait alors une intelligence générale de l’art, qui a disparu dans ce siècle, probablement à cause de l’avènement de la grande industrie, amenant avec elle la division du travail. Nous sommes loin du moment où une marchande d’herbes d’Athènes reconnaissait Théophraste à son accent étranger et applaudissait Sophocle ; où le peuple de Florence portait en triomphe une madone de Cimabué. Le sentiment artistique est devenu dans notre siècle tout à fait individuel ; le dilettante qui comprend tout et goûte tout

coudoie, dans la société soi-disant cultivée, le Philistin le plus épais. C’est pour ces deux causes qu’on n’a point exigé des producteurs industriels qu’ils mettent leurs œuvres en harmonie avec le sentiment des artistes.

Jusqu’au XVIIIe siècle, la manière de sentir des peintres et des sculpteurs se retrouve dans le mobilier, le vêtement, les armes, les joyaux, les moindres ustensiles. De notre temps, quelle incohérence ! A part l’influence du peintre David sur le mobilier néo-grec du premier Empire, on ne peutpas retrouver trace d’union entre l’art et l’industrie au xixe siècle

Pendant que de 1820 jusqu’en 1860, par exemple, la peinture française brillait d’un éclat de Renaissance, nous subissions dans l’industrie une période de mauvais goût, telle qu’il.ne s’en est jamais présentée de pareille dans l’histoire. Un fauteuil ou un lit de la Restauration, le « gothique troubadour », une

pendule Louis-Philippe, une porcelaine de Sèvres de la célèbre madame Jacotot, resteront toujours au nombre des objets de l’imagination industrielle la plus sotte et la plus tristement comique qui se soit jamais donné carrière. Et si l’on est réduit à parler ainsi de la France, que dire des produits étrangers ? C’était le mauvais dans le pire. Les artistes les plus originaux sacrifiaient à ce goût atroce lorsqu’ils voulaient composer pour l’industrie l’œuvre du grand sculpteur Barye offre à cet égard des enseignements trop clairs. Dans notre siècle, l’art pur semble né de sentiments intraduisibles pour l’art appliqué. Notre art appliqué ou industriel, qui a subi depuis vingt années une transformation remarquable, est en réalité issu de la critique. Ce sont les beaux travaux de l’école romantique, des Mérimée, des Vitet, des Viollet-le-Duc, des Didron qui ont imposé le respect des arts anciens et qui, en les faisant comprendre, ont créé cette légion de chercheurs et d’amateurs lesquels, à leur tour, ont influé sur la production industrielle et l’ont ramenée aux bonnes méthodes, aux meilleurs styles, aux règles éternelles de la composition. Cette première et grande révolution s’est donc faite, que de révoltante au point de vue de l’art, la production industrielle s’est montrée bonne imitatrice des temps passés. Il s’agit de lui faire franchir maintenant le plus haut degré, de la faire vivre de sa vie propre c’est-à-dire de l’amener à être originale.

Ce serait l’heure de demander à ce siècle finissant, de ne pas mourir sans avoir trouvé son style. La critique règle et ramène l’esprit aux sources et aux bons principes, mais elle ne peut enflammer, donner la passion et la vie. C’est par l’architecture que devrait se’ créer le style du xixe siècle. Les charmantes variations exécutées sur le fer et la brique associés, dans les palais jumeaux de l’Exposition de 1889, sont-elles le premier cri d’un art nouveau-né ? L’art industriel de ces temps est, à vrai dire, tourmenté par un terrible ennemidu style ; c’est la nouveauté, la mode, en tout de plus en plus mobile, stimulant incomparable pour l’importance de la production, mais qui est au fond le grand obstacle à la création d’un style, lequel ne pouvant sortir que de profonds sentiments et de réflexions prolongées, doit être durable pour cela même. C’est pourquoi la voie originale que les industries mélangées d’art doivent s’ouvrir sera peut-être moins celle d’un style très personnel que celle de l’emploi de formes et de couleurs constamment renouvelées. C’est ainsi qu’on satisferait à la fois le besoin inquiet de la nouveauté et qu’on éveillerait d’autres sentiments. Pourquoi toujours reproduire l’acanthe, parce qu’elle a été aimée des Grecs de Corinthe, ou le chardon parce qu’il a été l’un des motifs de décors préférés du moyen âge ? C’est en puisant au réservoir insondable de la nature organique et inorganique que nos industries d’art trouveront des trésors ignorés de formes et de couleurs. Tout l’art merveilleux des Arabes est sorti de quelques combinaisons géométriques. La moire chatoyante n’est que l’imitation des noeuds d’un bois fendu.

Puis, il faut y insister, la plus grande cause de désunion entre l’art et l’industrie, c’est la division du travail. Cette loi économique, si bienfaisante et si féconde pour l’étendue de la production, engendre l’infériorité de nos arts industriels, parce que la division du travail est la suppression ou à tout le moins la diminution de la personnalité :