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prélude aux théories fameuses qu’il a développées dans sa Philosophie du droit, Grundlinien der Philosophie des Rechts.

Dans cet ouvrage célèbre, Hegel n’a pas prétendu faire acte de législateur. Il est plutôt un philosophe et un peu aussi un prophète. « Ce traité, dit-il, ne doit être autre chose dans sa partie politique qu’un essai de comprendre l’État comme rationnel en soi. Il ne s’agit pas de le construire a priori, ni de lui enseigner ce qu’il doit être, mais de le faire comprendre comme monde social. » On va voir ce que cela signifie.

En philosophie, Hegel rejette l’idée de l’absolu. Rien n’est absolu, rien n’existe à l’état d’immuable ou de parfait. Dieu, prototype de l’absolu, n’est pas ; il devient. Tout se transforme, tout avance, tout tend à devenir. L’absolu, c’est la nature qui toujours évolue et qui évolue vers le mieux ; c’est la raison ou la pensée se réalisant par un progrès sans fin si bien que la vraie raison et la vraie réalité sont identiques. De là, le fameux axiome « Tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel. »

Transportées dans le domaine de la sociologie, voici où conduisent ces prémisses. Tout se transforme, et chaque transformation aboutit à un progrès. Il en résulte que ce que nous appelons changements révolutions, destructions, sont les formes et les étapes mêmes du progrès. Le progrès n’est possible que par une marche vers un perpétuel devenir. Dans la période du monde où nous sommes, l’unité sociale est l’homme, l’individu. Mais l’individu isolé n’est rien ; il cherche en conséquence à s’unir à d’autres, à s’associer ; de là, la famille. La famille à son tour n’est qu’une étape vers un but plus constant et meilleur : nous arrivons à l’État. L’État est la substance générale dont les individus ne sont que des accidents, des modes. L’individu se doit tout entier à la société puisqu’il n’est rien sans elle. L’État est un but de la société et non un simple moyen. L’État cependant doit veiller au bonheur des individus. Il leur doit une certaine liberté limitée par la liberté de leurs semblables. Mais ce souci légitime du bonheur des individus ne doit pas entraver la marche de l’État vers le progrès. Or, de même que l’individu et la famille sont absorbés dans l’État, ainsi l’État lui-même est absorbé dans les États supérieurs. Une nation victorieuse est meilleure que la nation vaincue. Sa force est la preuve de son droit ; de là le droit de conquête et la perpétuité de la guerre.

Ainsi, par une espèce de fatalisme historique, Hegel arrive à un panthéisme politique, un déterminisme universel en vertu duquel l’individu s’absorbe dans l’État, l’État faible dans l’État fort et tous les États eux-mêmes dans le vaste mouvement de l’univers.


HELVÉTIUS. — Helvétius, né à Paris en 1715, mort en 1771, était encore sur les bancs de l’École quand il lut le Traité de l’entendement humain de Locke et devint un des plus fervents admirateurs de ce philosophe. Il s’essaya d’abord dans la poésie et les mathématiques ; mais le succès de l’Esprit des lois, dont l’auteur était son ami, lui donna l’idée d’écrire un jugement sur ce livre, et, en 1750,. il se démettait de sa charge de fermier général pour s’adonner définitivement aux spéculations métaphysiques et sociales. Grâce à sa grande fortune, il put désormais, retiré dans ses terres du Perche, se consacrer exclusivement à l’étude et exercer son infatigable générosité, donnant ainsi un honorable démenti aux doctrines d’égoïsme qu’on l’accuse d’avoir répandues dans ses écrits. Cette vie de retraite fut interrompue seulement par un voyage qu’il fit quelques années avant sa mort en Angleterre, en Allemagne et en Prusse, où Frédéric le Grand le reçut avec la plus grande distinction.

C’est en 1758 que Helvétius publia, sans y mettre son nom, son fameux livre De l’Esprit. L’ouvrage fit grand scandale, fut condamné par le parlement, la Sorbonne et le Pape, enfin brûlé par la main du bourreau. Malgré trois rétractations successives, écrites par l’auteur, le pouvoir ne lui pardonna point ses idées de réforme sociale et politique, ni ses attaques contre le despotisme. Outre le livre De l’Esprit, Helvétius a laissé : le Bonheur, poème en six chants, où l’on rencontre quelques beaux vers enfin un autre ouvrage philosophique : De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation. Mais ce dernier livre, quoiqu’il soit plus hardi que l’Esprit et qu’il contienne la négation de toute religion, n’est guère que le corollaire du premier ; et l’on peut dire que la part d’influence qu’obtint Helvétius dans le mouvement philosophique du siècle dernier est due exclusivement au livre De l’Esprit.

Le livre De l’Esprit se divise en quatre discours, dans lesquels sont exposés en détail et d’une manière propre à l’auteur les principes de la morale de l’intérêt.

Il pose d’abord en principe que l’homme est un animal purement sensible, dont toute l’existence se compose de sensations. Nous ne différons des animaux que par une certaine organisation extérieure. La sensibilité, excitée au point de devenir le moteur des actions humaines, se manifeste sous la forme de passions. La passion étant le principe uni-