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s’est installé au foyer avec lui. L’homme boit comme un trou, Angèle l’oublie dans la débauche, on saoule la mère pour qu’elle se taise.

Dans ce taudis, on se sentait pris d’écœurement. Il fallait sortir au plus vite. Mais au dehors, le brouillard vous empoignait à la gorge, vous tordait l’âme dans une angoisse à laquelle il fallait échapper à tout prix, par le rêve ou par la prière — pourquoi pas ? — ou par cet assouvissement farouche des instincts brutaux qui emplissait de consommateurs chaque débit de l’île et faisait couler l’alcool à grands flots.


La nuit, pendant le sommeil, on percevait une sonorité lointaine que l’écho redisait avec des vibrations d’orgue. Deux longs mugissements, chacun espacé de quelques secondes, auxquels succédait un silence.

Si monotones et si réguliers, si pareils que fussent ces deux sons, le premier finissait pourtant sur une note plus élevée et c’était à cette faible différence que tenait, sans doute, la magie de ce tumulte. Il semblait un dialogue grandiose et désolé. On imaginait que cette plainte atroce, poussée par quelques représentants oubliés de la préhistoire, disait la fatalité d’un éternel esclavage. Ruisselants d’eau et d’écume, deux