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ou, au pis aller, de s’embarquer sur un caboteur de Brest. De la sorte, la séparation serait moins longue. Kéméan ne disait pas non. Il se grattait la tête en annonçant qu’il verrait. Mais son idée n’était pas là. Et un jour, malgré les larmes de Salomé, il partit rejoindre son bateau.

Car c’est leur volonté, à tous les Ouessantins valides qui ne servent pas sur la flotte, de naviguer sur les long-courriers. « Ce sont les premiers marins du monde, disait, il y a plus d’un siècle, l’amiral Thénard, courageux et disciplinés. » Et Ludovic Kéméan, toujours propre sous son veston bleu et sa casquette à ancre d’or, droit de cœur et d’esprit, était un pur Ouessantin, satisfait de son sort et de son métier que trahissaient des mains rouges et rugueuses, lentes et massives, aptes aux durs travaux de force comme à fignoler des brimborions, pendant des heures.

Il aimait sa femme, mais il aimait la mer, en têtu, en simple, attaché à ces longues et fastidieuses navigations des voiliers dont il ne rapportait que des idées confuses sur quelques ports, quelques fariboles exotiques et deux ou trois souvenirs, imprécis, sans lien, qui éclairaient ses yeux bleus et déchaînaient son rire