Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’unité linguistique est une chose double, faite du rapprochement de deux termes.

On a vu p. 28, à propos du circuit de la parole, que les termes impliqués dans le signe linguistique sont tous deux psychiques et sont unis dans notre cerveau par le lien de l’association. Insistons sur ce point.

Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique[1] . Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait.

Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter mentalement une pièce de vers. C’est parce que les mots de la langue sont pour nous des images acoustiques qu’il faut éviter de parler des « phonèmes » dont ils sont composés. Ce terme, impliquant une idée d’action vocale, ne peut convenir qu’au mot parlé, à la réalisation de l’image intérieure dans le discours. En parlant des sons et des syllabes d’un mot, on évite ce malentendu, pourvu qu’on se souvienne qu’il s’agit de l’image acoustique.

  1. Ce terme d’image acoustique paraîtra peut-être trop étroit, puisqu’à côté de la représentation des sons d’un mot il y a aussi celle de son articulation, l’image musculaire de l’acte phonatoire. Mais pour F. de Saussure la langue est essentiellement un dépôt, une chose reçue du dehors (voir p. 30). L’image acoustique est par excellence la représentation naturelle du mot en tant que fait de langue virtuel, en dehors de toute réalisation par la parole. L’aspect moteur peut donc être sous-entendu ou en tout cas n’occuper qu’une place subordonnée par rapport à l’image acoustique (Ed.).