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Les autres peuples n’ont pas aperçu ce principe, et leurs alphabets n’analysent pas la chaîne parlée en ses phases acoustiques homogènes. Les Cypriotes, par exemple, se sont arrêtés à des unités plus complexes, du type pa, ti, ko, etc. ; on appelle cette notation syllabique ; désignation quelque peu inexacte, puisqu’une syllabe peut être formée sur d’autres types encore, par exemple pak, tra, etc. Les Sémites, eux, n’ont marqué que les consonnes ; un mot comme bárbaros aurait été noté par eux brbrs.

La délimitation des sons de la chaîne parlée ne peut donc reposer que sur l’impression acoustique ; mais pour leur description, il en va autrement. Elle ne saurait être faite que sur la base de l’acte articulatoire, car les unités acoustiques prises dans leur propre chaîne sont inanalysables. Il faut recourir à la chaîne des mouvements de phonation ; on remarque alors qu’au même son correspond le même acte : b (temps acoustique) = b′ (temps articulatoire). Les premières unités qu’on obtient en découpant la chaîne parlée seront composées de b et b′ ; on les appelle phonèmes ; le phonème est la somme des impressions acoustiques et des mouvements articulatoires, de l’unité entendue et de l’unité parlée, l’une conditionnant l’autre : ainsi c’est déjà une unité complexe, qui a un pied dans chaque chaîne.

Les éléments que l’on obtient d’abord par l’analyse de la chaîne parlée sont comme les anneaux de cette chaîne, des moments irréductibles qu’on ne peut pas considérer


    phérō ; mais c’est une innovation postérieure ; les inscriptions archaïques notent ΚΗΑΡΙΣ et non ΧΑΡΙΣ. Les mêmes inscriptions offrent deux signes pour k, le kappa et le koppa, mais le fait est différent : il s’agissait de noter deux nuances réelles de la prononciation, le k étant tantôt palatal, tantôt vélaire ; d’ailleurs le koppa a disparu dans la suite. Enfin, point plus délicat, les inscriptions primitives grecques et latines notes souvent une consonne double par une lettre simple ; ainsi le mot latin fuisse a été écrit FUISE ; donc infraction au principe, puisque ce double s dure deux temps qui, nous le verrons, ne sont pas homogènes et donnent des impressions distinctes ; mais erreur excusable, puisque ces deux sons, sans se confondre, présentent un caractère commun (cf. p. 79 sv.).