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moins qu’on n’appelle de ce nom cette chose qui n’est pas un son, mais devant laquelle on ne fait ni liaison ni élision. C’est donc un cercle vicieux, et l’h n’est qu’un être fictif issu de l’écriture.

Ce qui fixe la prononciation d’un mot, ce n’est pas son orthographe, c’est son histoire. Sa forme, à un moment donné, représente un moment de l’évolution qu’il est forcé de suivre et qui est réglée par des lois précises. Chaque étape peut être fixée par celle qui précède. La seule chose à considérer, celle qu’on oublie le plus, c’est l’ascendance du mot, son étymologie.

Le nom de la ville d’Auch est en transcription phonétique. C’est le seul cas où le ch de notre orthographe représente š à la fin du mot. Ce n’est pas une explication que de dire : ch final ne se prononce š que dans ce mot. La seule question est de savoir comment le latin Auscii a pu en se transformant devenir  ; l’orthographe n’importe pas.

Doit-on prononcer gageure avec ö ou avec ü ? Les uns répondent : gažör, puisque heure se prononce ör. D’autres disent : non, mais gažür, car ge équivaut à ž. dans geôle par exemple. Vain débat ! La vraie question est étymologique : gageure a été formé sur gager comme tournure sur tourner ; ils appartiennent au même type de dérivation : gažür est seul justifié ; gažör est une prononciation due uniquement à l’équivoque de l’écriture.

Mais la tyrannie de la lettre va plus loin encore : à force de s’imposer à la masse, elle influe sur la langue et la modifie. Cela n’arrive que dans les idiomes très littéraires, où le document écrit joue un rôle considérable. Alors l’image visuelle arrive à créer des prononciations vicieuses ; c’est là proprement un fait pathologique. Cela se voit souvent en français. Ainsi pour le nom de famille Lefèvre (du latin faber), il y avait deux graphies, l’une populaire et simple, Lefèvre, l’autre savante et étymologique, Lefèbvre. Grâce à la confusion de v et u dans l’ancienne écriture, Lefèbvre a été lu Lefé-