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car ils n’atteignent que la substance matérielle des mots. S’ils attaquent la langue en tant que système de signes, ce n’est qu’indirectement, par le changement d’interprétation qui en résulte ; or ce phénomène n’a rien de phonétique (voir p. 121). Il peut être intéressant de rechercher les causes de ces changements, et l’étude des sons nous y aidera ; mais cela n’est pas essentiel : pour la science de la langue, il suffira toujours de constater les transformations de sons et de calculer leurs effets.

Et ce que nous disons de la phonation sera vrai de toutes les autres parties de la parole. L’activité du sujet parlant doit être étudiée dans un ensemble de disciplines qui n’ont de place dans la linguistique que par leur relation avec la langue.

L’étude du langage comporte donc deux parties : l’une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de l’individu ; cette étude est uniquement psychique ; l’autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c’est-à-dire la parole y compris la phonation : elle est psycho-physique.

Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent l’un l’autre : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s’établisse ; historiquement, le fait de parole précède toujours. Comment s’aviserait-on d’associer une idée à une image verbale, si l’on ne surprenait pas d’abord cette association dans un acte de parole ? D’autre part, c’est en entendant les autres que nous apprenons notre langue maternelle ; elle n’arrive à se déposer dans notre cerveau qu’à la suite d’innombrables expériences. Enfin, c’est la parole qui fait évoluer la langue : ce sont les impressions reçues en entendant les autres qui modifient nos habitudes linguistiques. Il y a donc interdépendance de la langue et de la parole ; celle-là est à la fois l’instrument et le produit de celle-ci. Mais tout